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Suivi de la consommation de drogue dans les eaux usées

27 mai 2014 | Andri Bryner

Les eaux usées contiennent des traces des drogues consommées et de leurs métabolites. En les analysant, il est possible d’évaluer la consommation de drogue - non pas des individus mais des villes dans leur globalité. Une étude réalisée en 2012 et 2013 dans 42 villes européennes montre que Bâle, Genève, Saint-Gall et Zurich sont fortes consommatrices de cocaïne tandis que Berne se situe dans la moyenne et qu’Anvers et Amsterdam arrivent en tête.

En 2013, les résidus de drogues ont été analysés pour la troisième année consécutive dans les eaux usées de villes européennes. 42 villes dont Bâle, Berne, Genève, Saint-Gall et Zurich ont cette fois-ci participé à l’étude. Pendant une semaine, les traces de cocaïne, d’amphétamines, de crystal meth et d’ecstasy ont été analysées dans les eaux usées de 1,4 millions de personnes en Suisse. Les résultats paraissent aujourd’hui dans la revue Addiction. En plus de l‘Eawag, l’institut suisse de recherche sur l’eau, plus de 20 laboratoires étaient impliqués dans ce projet.

Forte consommation de cocaïne à Zurich

En ce qui concerne la cocaïne, Zurich arrive en troisième position après Anvers (Belgique) et Amsterdam (Pays-Bas) pour la semaine considérée. Au regard des estimations en matière de pureté et de métabolisme, la consommation de Zurich peut être estimée à 1,6 kg par jour. A l’exception de Berne, les autres villes suisses se situent au-dessus de la moyenne européenne : Bâle et Genève en 9ème et 10ème position, Saint-Gall en 12ème position et Berne en 15ème position. Rien ne permet de savoir, cependant, si ces résultats sont dus à la plus grande pureté de la cocaïne en Suisse, à une plus forte consommation par personne ou à un plus grand nombre de consommateurs. En revanche, les valeurs des villes suisses sont toutes très inférieures à la moyenne pour le crystal meth dont les plus grandes consommatrices sont les villes tchèques de Prague et de České Budějovice et la capitale norvégienne Oslo (voir l’article original pour une classification détaillée).

Ecstasy – la drogue du samedi soir

L’analyse des eaux usées permet de suivre l’évolution de la consommation dans le temps. Logiquement, la consommation d’ecstasy, la drogue du domaine festif par excellence, varie fortement entre les jours de semaine et le week-end (voir graphique).

Dans le cas de la cocaïne, la différence entre jours œuvrés et jours chômés est moins marquée même si elle reste statistiquement significative. Cette observation indique que la cocaïne est également consommée en semaine – quotidiennement pour ceux qui en sont dépendants.

Malheureusement, les analyses de cannabis effectuées pour la Suisse ne répondaient pas aux exigences très sévères fixées pour les laboratoires. Etant donné que le pays est considéré comme un haut-lieu de la consommation de cannabis, ces données seraient particulièrement intéressantes. Dans la présente étude, les villes de Novi Sad (Serbie), d’Amsterdam et de Paris arrivent en tête.

A la clé : un monitoring plus précis de la consommation de drogues

Pour le premier auteur de l’étude, l’ingénieur Chistoph Ort de l’Eawag, le plus important n’est pas la classification des villes. Son objectif est plutôt d’obtenir, grâce à l’analyse des eaux usées, des données comparables bien plus rapidement et plus fréquemment qu’avec les programmes nationaux de surveillance de la toxicomanie. Etant donné le peu de cas traités, ces programmes permettent difficilement d’évaluer, par exemple, le nombre de personnes ayant consommé une drogue donnée pendant une année donnée dans une région donnée. En les combinant aux résultats d’autres études et statistiques (sondages dans des soirées, Monitorage suisse des addictions, Global Drug Survey, etc.), les analyses d’eaux usées permettraient, elles, de détecter de nouvelles tendances ou d’en vérifier certaines. Ainsi, l’augmentation de la consommation d’ecstasy et de cocaïne constatée entre 2012 et 2013 par l’entremise des eaux usées concorde bien avec les analyses de substances de Saferparty.ch de Streetwork, le service Jeunes de la ville de Zurich. Cette augmentation est attribuée à une plus grande pureté de la cocaïne et à une plus forte concentration des comprimés d’ecstasy. « L’analyse des eaux usées permet certainement une meilleure quantification de la consommation de substances illicites dans une zone géographique donnée, confirme Alexander Bücheli de Safer Nightlife Suisse. Il y a encore cependant trop d’inconnues pour pouvoir tirer des conclusions sur le nombre de consommateurs. » Des projets transdisciplinaires vont bientôt être lancés pour résoudre ce problème.

Evolution de la consommation d’ecstasy et de cocaïne au cours d’une semaine : part de chaque jour à la consommation hebdomadaire (noir = données de toutes les villes participant l’étude ; 50% dans le box, 95% ligne interrompue).

Échantillonnage des eaux useé à la station d’épuration zurichoise de Werdhölzli
(photos : Eawag, Peter Penicka)