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Pour que les lacs suisses ne restent plus des trous noirs

1 septembre 2011 | Andri Bryner

Une équipe internationale de chercheurs, placée sous la direction de l’Institut de Recherche de l’Eau du domaine des EPF Eawag et du Musée d'histoire naturelle de Berne, étudie les lacs alpins et périalpins en allant littéralement jusqu'au fond des choses. Dans le «Projet Lac», les populations de poissons sont pour la première fois inventoriées scientifiquement et systématiquement. Les premières études effectuées dans le lac de Morat ont déjà permis d’obtenir des résultats qui n'avaient pu être révélés par les statistiques des pêcheurs utilisées jusqu'à aujourd’hui.

 Conformément à la loi sur la pêche, la dissémination des espèces de poissons en Suisse doit être connue et documentée avec précision. La directive-cadre sur l'eau de l'Union Européenne comporte une prescription similaire. Les experts doivent établir des statistiques montrant quelles espèces sont particulièrement menacées et doivent de ce fait être protégées. On connaît cependant encore mal les espèces vivant dans les grands lacs d'Europe. Dans la plupart des cas, les seules données disponibles sont les statistiques de la pêche. On sait quelles espèces et combien de poissons sont capturés et combien sont relâchés, mais l’étendue réelle de leur diversité est inconnue.

Mieux connaître le devenir et la disparition des espèces

Le projet a été lancé en 2010, lors de l'année internationale de la biodiversité. Grâce à lui, l'EAWAG et le Musée d'histoire naturelle de la commune bourgeoise de Berne veulent contribuer à faire un peu de lumière sur les sombres profondeurs des lacs. Les grands lacs font l'objet d'une pêche systématique, les espèces trouvées sont identifiées, mesurées et photographiées et les statistiques des captures sont analysées. « Nous établissons ainsi pour la première fois le degré réel de l’actuelle biodiversité des poissons dans les lacs », déclare le directeur du « Projet Lac », le professeur Ole Seehausen de l'Eawag et de l'Institut de l'Ecologie et de l'Evolution de l'Université de Berne. « En outre, ce projet doit nous aider à découvrir pourquoi la diversité des espèces et la composition de la biocénose varient parfois tellement d'un lac à l'autre et quelles raisons écologiques entraînent l'apparition ou la disparition d'espèces. » Le projet réunit des experts de différents pays voisins, car au final, l'enjeu n'est pas seulement d’acquérir des connaissances scientifiques, mais aussi de conserver les populations de poisson des lacs alpins et périalpins dans le futur. Au Musée d'histoire naturelle de Berne, une vaste collection de poissons et d’échantillons de tissus est constituée, qui servira de référence sur le plan international pour les futurs travaux de recherche.

Lac de Morat: des résultats qui font réfléchir

Jusqu'ici trois lacs ont fait l'objet de pêches, le lac de Morat ainsi que les deux lacs français d'Annecy et du Bourget. Plus de 8000 poissons et 29 espèces ont été inventoriés. Les résultats du lac de Morat montrent que plus d'un tiers des espèces de poisson décrites par J. Gugelhard en 1840 ont disparu. Les biotopes structurés du lac, qui jouent un rôle important pour les poissons, ont diminué de 30%. De plus, près de 30 % des rives sont aujourd'hui artificielles et construites. Enfin, l’oxygène qui permettrait la survie des espèces de poisson vivant en eau plus profonde, manque à partir de 20 mètres de profondeur.

Parallèlement, on a découvert des espèces jusqu'ici inconnues dans le lac de Morat: des gardons rouges qui, morphologiquement, doivent être assimilés à l'espèce de gardon rouge italienne (Scardinius hesperidicus) et des loches de rivière, qui, morphologiquement, correspondent à l'espèce italienne (Cobitis bilineata). De plus, on a pêché pour la première fois une carpe prussienne (Carassius gibelio). Ces premiers relevés standardisés de la faune ichtyologique montrent que la pêche professionnelle et de loisir a un impact sélectif sur la composition des espèces du lac. On constate ainsi que les pêcheurs capturent proportionnellement trop de sandres, de brochets et de silures par rapport à l’importance de leur présence dans le lac. D'autres espèces, comme celles de la famille des carpes (Cyprinidés) et des espèces de petits poissons, sont à peine pêchées. Ceci influence nettement les structures d'âge des populations du lac. Pour le sandre, soumis à une pêche intensive, il y a comparativement beaucoup d'animaux jeunes et peu d'animaux adultes. L'inventaire standardisé de la faune ichtyologique donne ainsi une autre image que les statistiques de capture de pêche inventoriées sur le plan cantonal.

Mise en œuvre optimale de ressources pour des mesures de valorisation

Ole Seehausen est convaincu que les données fournies par le projet, dont le coût s'élève à près de 2,4 millions de francs, encourageront à protéger la biodiversité des poissons : « Nos résultats donneront par exemple des pistes sur la manière dont la revitalisation des berges et la valorisation des zones d'eau peu profonde doivent être exécutées pour avoir les plus grandes chances possibles de réussite. » La direction du projet espère qu’en plus des lacs mentionnés ci-dessous (encadré), il sera possible d'inventorier encore d’autres grands lacs en Suisse. Certains sont déjà en cours de planification.