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Possible contribution des grandes éruptions volcaniques au réchauffement climatique

24 novembre 2015 | Mirella Wepf

Une nouvelle étude internationale réalisée avec une contribution décisive de l'Eawag montre que la température de l'atmosphère mondiale a augmenté subitement dans les années 1980 et suggère que l'éruption de l'El Chichón aurait tout d'abord légèrement atténué le réchauffement avant de l'accentuer par la suite.

Depuis 1989, en Suisse, les cerisiers fleurissent 13 jours plus tôt qu'au cours des 95 années précédentes (début des relevés : 1894). En Angleterre, les bergeronnettes reviennent en moyenne 11 jours plus tôt d'Afrique. Et dans le même temps, la température des rivières suisses a subitement augmenté (jusqu'à 1,7 °C de plus depuis 1989), impactant fortement certaines espèces comme la truite commune.

« Dès que la température de l'eau dépasse 19 degrés, les truites cessent de s'alimenter et puisent dans leurs réserves corporelles », explique Renata Hari, chercheuse à la etraite de l'Eawag. Dans le cadre des projets Fischnetz et Etat des eaux de la vallée de l'Aar (EEA), la chimiste a pu démontrer que les populations de truite de rivière avaient fortement régressé dans toute la Suisse des suites du réchauffement de l'eau. Certains changements sont particulièrement visibles : « Aujourd'hui, l'habitat préférentiel des truites est remonté d'environ 150 m en altitude pour atteindre une eau plus froide. »

Des changements subits partout dans le monde

A l'époque de Fischnetz, Renata Hari avait pris contact avec l'océanographe Philip C. Reid qui travaillait pour la Sir Alister Hardy Foundation for Ocean Science (SAHFOS). Ce dernier avait démontré en 2001 que la quantité de phytoplancton présente dans la mer du Nord avait subitement augmenté de 80 % après 1987, phénomène qui s'était accompagné d'une augmentation significative des captures de chinchard (Trachurus trachurus), un poisson ressemblant au maquereau. Parallèlement à cela, les climatologues ont noté une forte augmentation des températures de la mer du Nord à partir de 1987.

A l'issue d'un workshop organisé par Hari et Reid à l'Eawag à l'automne 2012, les scientifiques décidèrent d'examiner ce phénomène de plus près étant donné que plusieurs autres études indiquaient la survenue de changements abrupts dans les écosystèmes partout dans le monde et que tous ces changements semblaient s'être produits dans la deuxième moitié des années 1980.

Des soupçons confirmés par l'analyse de 1000 séries chronologiques

« Suite à cette décision, nous avons épluché une multitude d'études scientifiques et analysé près de 1000 séries chronologiques différentes, c'est-à-dire des séries de données environnementales mesurées avec régularité pendant de longues périodes », raconte Renata Hari. Le résultat est sans équivoque : « Autour de l'année 1987, les températures ont augmenté subitement partout dans le monde, entraînant des modifications profondes et durables de nombreux écosystèmes. » Sur le Plateau suisse, par exemple, le nombre de jours de neige est passé de 30 à 14 par an (Christoph Marty, SLF). Les incendies de forêt qui touchent saisonnièrement l'Ouest des Etats-Unis durent aujourd'hui en moyenne 29 jours au lieu de 5 précédemment et la mer du Japon s'est réchauffée de 1,3 degrés à 50 m de profondeur.

72 des séries chronologiques analysées ont été présentées dans un article intitulé « Global impacts of the 1980s regime shift » publié le 24 novembre dans la revue scientifique Global Change Biology (GCB).

Les volcans pourraient avoir aggravé les suites du réchauffement planétaire

L'étude, qui a impliqué 29 scientifiques de 35 instituts et organismes de recherche, livre un autre résultat d'importance. Le climatologue Jeff Knight de l'Hadley Centre d'Exeter a pu établir une relation de cause à effet entre cette modification mondiale des systèmes (appelée changement de régime ou Regime Shift par les spécialistes) et l'éruption du volcan mexicain El Chichón survenue en 1982. Lors de cette éruption d'une force exceptionnelle, près de 7 millions de tonnes de dioxyde de soufre et 20 millions de tonnes d'aérosols ont été propulsés dans la stratosphère.

« Notre travail va à l'encontre de l'idée générale selon laquelle les grandes éruptions volcaniques n'agissent sur le climat terrestre que dans le sens d'un refroidissement », commente Philip C. Reid. L'éruption d'El Chichón a effectivement commencé par refroidir l'atmosphère de 0,2 à 0,3 degrés, ce qui tout d'abord atténué le réchauffement climatique causé par les activités anthropiques. Mais cet effet n'a été que de courte durée. A partir de la moitié des années 1980, l'augmentation de la température a repris et ce, de manière fortement accélérée.

« Nous pensons que ce réchauffement subit a eu un impact très significatif sur la plupart des systèmes biologiques, physiques et chimiques de la planète », commente Reid.

Autrement dit, les résultats de cette étude suggèrent que les grandes éruptions volcaniques, dont le panache s'étend jusqu'à la stratosphère, renforcent les effets du réchauffement climatique causé par l'Homme et peuvent donc avoir des conséquences jusqu'à présent insoupçonnées. Pour Hari, le message est clair : « Cela montre aussi que les solutions de geoengineering proposées pour freiner le réchauffement climatique, comme par exemple l'injection artificielle d'aérosols dans la stratosphère, pourraient comporter des risques beaucoup plus élevés qu'on ne le pensait. »

Article original http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.13106/epdf

 

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