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Bouziane Outiti remporte un Energy Globe Award pour son projet d'épuration des eaux

2 juin 2016 | Stephanie Engeli

Ce 1er juin, Bouziane Outiti de l'Eawag s'est vu décerner l'Energy Globe Award pour son projet d'épuration des eaux au Maroc. Ce prix récompense chaque année des projets particulièrement innovants dans le domaine de l'environnement dans le monde entier.

C'est une histoire qui sort des sentiers battus : en effet, Bouziane Outiti, qui vient de remporter l'Energy Globe Award, n'est pas chercheur à l'Eawag. C'est en tant qu'informaticien qu'il y travaille depuis 28 ans. Il y a huit ans, ce marocain de naissance a fondé « l'Association Maroco-Suisse pour l’environnement et le développement », ou A.M.S.E.D., qui s'est fixé pour objectif d'assister le Maroc dans ses efforts pour améliorer la gestion des eaux sur tout son territoire.

Comment en êtes-vous venu, en tant qu'informaticien, à lancer un projet de traitement des eaux usées ?

J'ai grandi au Maroc et je connais bien la situation sanitaire du pays, en particulier en zone rurale. Les problèmes liés à l'approvisionnement en eau et à l'assainissement sont tels que les efforts fournis par le gouvernement et la société civile ne suffisent pas à les résoudre. Stimulé par le contexte de l'Eawag, j'ai fondé l'A.M.S.E.D. en 2008. Nous avons ainsi créé une plateforme qui permet aux projets d'adduction et d'épuration des eaux au Maroc de bénéficier de l'aide d'experts internationaux. Le projet de traitement des eaux usées d'Asselda a vu le jour un peu par hasard, à l'initiative d'une étudiante qui s'est vue confrontée au problème des eaux usées de ce village dans le cadre de son mastère.

Vous évoquez les problèmes d'assainissement du village. Comment doit-on imaginer la situation au début du projet ?

Les deux villages Asselda Un et Asselda Deux, comme ils s'appellent réellement, sont situés à environ 50 kilomètres au sud de Marrakech sur la commune d'Asni, sur les contreforts de l'Atlas. Ils comptent à eux deux près de 1200 habitants et ne disposaient au début du projet que d'égouts de fortune. Les eaux usées étaient directement déversées dans une zone agricole (de vergers) et dans la rivière voisine. Vous pouvez imaginer ce que cela signifie en termes d'hygiène sanitaire ! D'un autre côté, cette situation nous donnait aussi la possibilité, dans notre projet, d'élaborer le meilleur système d'assainissement possible pour la région. Grâce au généreux soutien financier de la fondation zurichoise Doros et à l'appui administratif de l'Eawag, nous avons pu réaliser le projet avec nos partenaires marocains.

Comment les travaux ont-ils avancé sur place ?

Au lieu des trois ans initialement prévus, le projet a duré six ans. Sur place, notre équipe était composée d'une jeune ingénieure marocaine et d'une assistante administrative qui ont travaillé avec les autorités de la province, la commune, l'entrepreneur marocain et l'association villageoise (une institution fréquente au Maroc). Vu de Suisse, il peut paraître normal qu'un tel projet soit mené par deux femmes mais, dans la société encore très patriarcale du village berbère d'Asselda, rien n'était moins évident. De même, dans les villages tels que celui-ci, qui sont souvent marqués par des conflits d'ordre ethnique ou politique, les problèmes de communication et les malentendus s'installent vite. Il est extrêmement important, dans les projets faisant intervenir des experts étrangers, de traiter avec les habitants d'égal à égal, avec respect. Grâce à mes origines berbères, j'ai souvent - non, très souvent (rires) - servi de médiateur.

Ce n'était certainement pas toujours facile ! Comment faut-il se représenter le système d'assainissement aujourd'hui ?

Au cours des cinq dernières années, nous avons développé une station d'épuration qui traite les eaux usées et produit un effluent qui peut être utilisé pour l'irrigation des arbres fruitiers. Le système que nous avons choisi combine un lagunage classique et des filtres plantés de roseaux. Mis à part un siphon qui se déclenche automatiquement pour l'alimentation intermittente des filtres plantés et une pompe à l'énergie solaire qui sert à l'irrigation des vergers, il ne comporte pas de machines et ne nécessite aucun apport extérieur d'énergie. D'autre part, l'installation n'émet pratiquement pas d'odeurs. Ce système est une véritable nouveauté au Maroc et de nombreuses communes sont déjà venues voir le prototype d'Asselda pour éventuellement construire une station de ce type chez elles.

Un projet n'est jamais tout à fait terminé : Que va-t-il se passer maintenant ?

La construction de l'installation est achevée et elle fonctionne sans problème depuis février 2015. Au cours des huit derniers mois, des analyses d'eau ont été effectuées mensuellement. Les performances répondent à nos attentes et l'eau obtenue en sortie répond aux exigences de l'OMS pour l'irrigation des arbres fruitiers. Un cahier des charges a été établi pour l'exploitation et l'entretien de la station d'épuration et du réseau d'égouts. Les personnes responsables au sein de l'association villageoise et le gérant de la station savent ainsi ce qu'ils ont à faire. Mais une étape importante et délicate reste encore à franchir : la remise de la station à la commune et donc le passage à un fonctionnement de routine qui implique une prise de responsabilités et une budgétisation adéquates pour l'exploitation et l'entretien du système. C'est souvent à ce niveau que des problèmes peuvent se poser, surtout en milieu rural. Mais je suis confiant : nous avons sur place des partenaires très compétents qui peuvent intervenir en cas de besoin pour garantir le bon fonctionnement du système d'assainissement et donc une amélioration durable des conditions de vie des habitants.

Entre toutes vos activités de médiation, trouvez-vous encore le temps de fêter la réussite du projet ?

Bien sûr ! Nous sommes vraiment très heureux d'avoir reçu l'Energy Globe Award. Personne ne s'attend à une telle récompense en se lançant dans un tel projet. Nous sommes très fiers du travail accompli par les différents partenaires et en particulier par les deux responsables marocaines qui ont su faire aboutir le projet dans un milieu pourtant dominé par les hommes. Mais nous allons certainement aussi faire la fête quand l'installation sera inaugurée - peut-être dans le cadre de la COP qui se tiendra à Marrakech en novembre.