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Une eau saine: un numéro d’équilibriste entre homme et environnement

21 juin 2011 | Andri Bryner

Le mercredi 22 juin 2011, l’Eawag fête ses 75 ans d’existence avec une journée d’information intitulée «Une eau saine – un numéro d’équilibriste entre homme et environnement». Car en ces périodes de ressources limitées et de changement climatique, la gestion durable des ressources aquatiques, de l’eau potable et des eaux usées par la société devient de plus en plus un numéro d’équilibriste. 

Quels efforts la société veut-elle ou doit-elle faire pour s’assurer une eau pure et des ressources aquatiques intactes? Depuis 75 ans, les activités de recherche de l’Eawag dans les domaines de l’eau potable, des eaux usées et de l’écologie aquatique contribuent de manière essentielle à trouver des réponses à cette question et à les étayer scientifiquement – aussi bien dans le château d’eau qu’est la Suisse qu’au niveau international.

 A ses débuts, l’Eawag se consacrait principalement au dimensionnement des installations d’alimentation, des stations d’épuration des eaux usées et des canalisations. Dans le domaine de l’eau potable vinrent s’y ajouter dès les années 1940 l’exploration des ressources en eaux souterraines ainsi, dans des expérimentations sur le terrain, que l’étude de l’effet de purification des sous-sols sur les eaux d’infiltration. Parallèlement, les ingénieurs de l’Eawag expérimentaient des méthodes de désinfection – faisant intervenir outre la chloration, l’ozone, les UV, le charbon actif et, à partir des années 1980, des membranes. Toujours à la pointe de la recherche, l’Eawag s’est alors orienté vers les techniques d’analyse des traces de substances les plus infimes. Dès les années 70, il a contribué de manière déterminante au développement de la chromatographie en phase gazeuse à haute résolution. A cela s’est ajoutée l’évaluation de l’écotoxicité des substances et des procédés chimiques dans les eaux. Aujourd’hui, l’accent est mis de plus en plus sur les produits de transformation résultant entre autres de l’action du rayonnement UV, lesquels produits ne sont pas nécessairement moins nocifs que les produits initiaux. C’est ainsi, par exemple, que les sous-produits du Diclofénac, un antidouleur très répandu, sont 10 fois plus toxiques dans l’environnement que le Diclofénac lui-même. Les toxicologues de l’environnement et les chimistes de l’Eawag ont dont mis au point des tests permettant de détecter l’insuffisance de contrôle des substances initiales.

Il y a plus de vie dans l’eau potable qu’on ne l’imaginait

Depuis peu, la cytométrie en flux fait école pour l'analyse microbiologique de l'eau potable. Cette technique, utilisée jusque-là en médecine, a été perfectionnée par l'Eawag en collaboration avec des équipementiers et des distributeurs d'eau. Elle peut désormais remplacer progressivement la technique coûteuse et plus que centenaire de l'étalement de bactéries. Les résultats montrent que l'eau potable même la plus propre contient plus d'organismes vivants que n’en détectaient les méthodes d'étude de prolifération jusqu'à maintenant. On dénombre non pas 100, mais 100 000 germes viables par millilitre. Mais ce n'est pas pour autant un motif d'inquiétude, au contraire. L'analyse beaucoup plus précise ne permet pas seulement de tirer des conclusions concernant le traitement de l'eau, mais également concernant la stabilité biologique de l'eau potable. Car ce n'est que dans une eau potable biologiquement stable que des bactéries inoffensives empêchent la prolifération des bactéries pathogènes, un processus qui permet de se dispenser de chloration.

Infrastructure d’épuration - Plus grand n’est pas toujours synonyme de plus rentable

Avec 87 000 kilomètres de canalisations d’assainissement, 759 grandes et 3500 petites stations d’épuration – la valeur de l'infrastructure suisse de traitement des eaux usées tourne aux alentours de 220 milliards de francs. Beaucoup de ces usines ont été construites dans les années 70 et nécessitent aujourd'hui d'être réhabilitées. La question se pose de savoir si elles doivent être rénovées ou si d'autres systèmes seraient plus appropriés. Les grandes installations d’épuration sont certes efficaces, mais elles nécessitent également de grands réseaux de canalisations. C'est pourquoi l'Eawag examine également la mise en œuvre de systèmes décentralisés de plus petite taille. Ils permettent de réagir avec flexibilité aux changements (croissance démographique, changement climatique), et peuvent répondre non seulement à des objectifs d'élimination, mais également de recyclage des nutriments avec une efficacité énergétique et en ressources accrue. La disponibilité de plusieurs systèmes permet en outre, sur place, de cibler davantage les besoins spécifiques.

Interconnexion des habitats pour des populations stables

L'eau potable ne suffit pas à elle seule à une protection intégrale des eaux. Des études de l'Eawag ont montré dès la fin des années 70 comment la rectification des cours d'eau et l’implantation d’obstacles artificiels ont dégradé les eaux courantes en tant qu’habitats. Aujourd'hui, la recherche et la pratique font ressortir de plus en plus nettement que ces mesures n'entraînent pas seulement l'éradication d'espèces rares, mais empêchent les eaux de remplir d'autres «services écosystémiques». C'est pourquoi les cantons sont chargés par la Fédération de déterminer quels ruisseaux et rivières doivent être revitalisés en priorité face au difficile équilibre entre utilisation et protection. Grâce aux méthodes les plus modernes de la génétique moléculaire, la recherche écosystémique d'Eawag peut fournir des informations quant aux priorités à donner. Des études montrent ainsi que des poissons ou des éphémères ont développé, selon les eaux, des races locales tout à fait différentes. Seul un réseau d’habitats autonomes, mais interconnectés, assure la diversité de populations stables grâce aux échanges de gènes. Car elles seules peuvent s'adapter de manière dynamique aux changements, par exemple à des températures plus élevées, au lieu d'être remplacées par un petit nombre d’espèces généralistes non spécialisées.

L'assainissement préserve la vie

Dans le monde, les maladies diarrhéiques transmises par l'eau demeurent responsables d’un nombre de décès bien plus élevé que ceux causés par le sida, la malaria ou la tuberculose – tout particulièrement chez les enfants. Dès 1968, à la demande de l'OMS, a été créé à l’Eawag un centre pour l'élimination des déchets et des eaux usées dans les pays du Sud – devenu aujourd'hui le Département pour l'eau et l'assainissement dans les pays en développement, qui compte 40 collaborateurs. L'Eawag développe des mesures pour une élimination sûre des matières fécales, ainsi que des procédés adaptés à la préparation d'eau potable. Toutefois, l’amélioration de l’assainissement n’est pas une mesure que l’on peut imposer. Pour que les infrastructures destinées à l'approvisionnement en eau et à l'assainissement fassent leurs preuves, il faut que les utilisatrices et utilisateurs soient associés à la planification. Il s'agit la plupart du temps de systèmes décentralisés, financièrement plus avantageux que de grandes installations centralisées. Une étude effectuée à Dakar (Sénégal) a comparé les coûts de canalisations d'assainissement conventionnelles avec station d'épuration à ceux de la collecte décentralisée des matières fécales (avec traitement centralisé). Les coûts d'investissement du premier système sont 11 fois supérieurs, et les frais d'exploitation, deux fois supérieurs à ceux du deuxième système.