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Sensibilité aux toxiques : une question de répartition dans l’organisme

8 mai 2014 | Andri Bryner/Caron Lett

Une équipe internationale de recherche est parvenue à expliquer pourquoi les organismes aquatiques tels que les micro-crustacés ou les mollusques ne réagissent pas tous de la même façon aux pesticides. Ils ont utilisé pour cela des méthodes d’autoradiographie habituellement réservées aux rats et souris de laboratoire.

La macrofaune invertébrée des milieux aquatiques joue un rôle déterminant dans la chaîne alimentaire et dans la dégradation de la matière organique. Près de 7000 espèces recensées dans les lacs et cours d’eau européens subissent une contrainte importante du fait de la pollution des eaux par les pesticides. Ces produits chimiques se déversent dans les milieux aquatiques suite aux pertes et émissions lors de leur application dans les champs, au lessivage des sols agricoles et à leur utilisation en milieu urbain. Bien que les fabricants travaillent sans relâche à limiter leurs effets secondaires, la pollution par les pesticides prend par endroits une ampleur considérable. Les études récentes qui l’attestent ont également montré que, suivant l’espèce à laquelle ils appartiennent, les invertébrés réagissent très différemment aux toxiques. Jusqu’à présent, rien ne permettait d’expliquer cette différence de sensibilité.

Eliminer les nuisibles, pas les autres espèces

Dans la recherche sur les polluants chimiques, une approche s’intéresse à la « toxicocinétique », c’est-à-dire à la manière dont les substances sont absorbées, transformées et excrétées ou accumulées par l’organisme. Dans une étude qui vient de paraître dans la revue Environmental Science & Technology, des chercheurs domiciliés en Suisse, en Angleterre et en Finlande ont développé une méthode innovante qui permet de mesurer, de modéliser et d’expliquer la sensibilité des espèces d’invertébrés aux pesticides. Le responsable du projet, le Dr Roman Ashauer, déclare à ce propos : « Nous avons produit des images qui montrent la répartition des pesticides dans le corps de micro-crustacés et de mollusques aquatiques. Nous pouvons visualiser les organes qui sont les plus touchés et identifier les composés qui sont le mieux excrétés par les invertébrés. » D’après le chercheur, ces informations pourraient aider à concevoir de meilleurs pesticides. « En fin de compte, le but est d’éliminer les nuisibles, pas d’attaquer toutes les espèces. »

 

Le lieu d’accumulation est décisif

Le Dr Anna-Maija Nyman, première-auteure de l’étude, se déclare étonnée des effets observés avec le diazinon et l’imidaclopride, deux insecticides neurotoxiques : les micro-crustacés s’avéraient beaucoup plus sensibles que les gastéropodes. Les scientifiques s’expliquent ce phénomène par une différence dans le lieu d’accumulation des toxiques dans l’organisme. Alors que les mollusques en renfermaient une quantité absolue plus importante, ils étaient moins affectés car ils ne les stockaient pas dans le système nerveux. En revanche, les différences au niveau des récepteurs entre les deux espèces ne jouaient un rôle, minime, que pour deux des trois pesticides étudiés.

La Pr Kristin Schirmer (cheffe du département de Toxicologie environnementale de l’Eawag) est fascinée par les potentialités offertes par les méthodes « photographiques » jusqu’alors surtout utilisées chez les rats et souris de laboratoire. « Je suis certaine que nos images de la répartition des polluants dans les organismes aquatiques vont révolutionner la perception et la compréhension de leur sensibilité aux pesticides et autres produits chimiques », affirme-t-elle avec enthousiasme.

L’étude a été réalisée à l’Eawag, l’institut de recherche sur l’eau, et à l’EPF de Zurich en partenariat avec les laboratoires suisses Harlan. Le responsable du projet, Roman Ashauer, travaille aujourd’hui à l‘université de York (UK) et la première auteure de l’étude, Anna-Maija Nyman, se partage entre le Centre Helmholtz de recherche environnementale de Leipzig en Allemagne et l’université de Kuopio en Finlande. L’équipe a examiné les effets de trois pesticides – le diazinon, l’imidaclopride et le propiconazole – sur deux micro-crustacés, les gammares Gammarus pulex et Gammarus fossarum, et sur un gastéropode aquatique, la limnée Lymnaea stagnalis. Le projet a été réalisé au sein d’un réseau européen de formation des chercheurs et a bénéficié d’un financement de l’Union européenne dans le cadre du 7ème programme-cadre de recherche. Site du projet

Article original

The importance of toxicokinetics for interspecies variation in sensitivity to chemicals. Anna-Maija Nyman, Kristin Schirmer, Roman Ashauer, (2014): Environmental Science & Technology; pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/es5005126 L’article peut être fourni aux journalistes au format PDF sur simple demande.



Voyez l’animation en cliquant sur l'image.


La limnée (en haut) et le gammare absorbent les polluants dans des parties différentes de leur organisme. Pour la gravité des effets, c’est l’accumulation dans les tissus nerveux qui importe et elle est beaucoup plus forte chez le micro-crustacé que chez le gastéropode aquatique.