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L’eau potable est bien plus « vivante » qu’on ne le pensait

24 janvier 2013 | Andri Bryner

Dorénavant, le comptage des microorganismes présents dans l’eau de boisson pourra officiellement s’effectuer par cytométrie en flux. L’Office fédéral de la santé publique vient en effet de faire entrer cette méthode développée à l’Eawag et largement testée en Suisse et à l’étranger dans le manuel suisse des denrées alimentaires. Livrant des résultats beaucoup plus réalistes que les techniques classiques basées sur le comptage de colonies bactériennes cultivées sur milieu gélosé, elle révèle aujourd’hui que même une eau potable de qualité irréprochable renferme de 100 à 10 000 fois plus de cellules que ne l’indiquaient les méthodes traditionnelles.

La qualité bactériologique de l’eau potable est contrôlée selon une méthode quasiment inchangée depuis plus de cent ans : l’échantillon à tester est appliqué sur un milieu gélosé et les bactéries qu’il renferme sont incubées au chaud pendant un certain temps puis dénombrées par comptage des colonies formées. Escherichia coli et les entérocoques sont utilisés comme indicateurs de contamination fécale et la qualité microbiologique générale de l’eau est évaluée par le nombre de GAM (germes aérobies mésophiles). Cette méthode livre une estimation du nombre de microorganismes mésophiles présents, c’est-à-dire capables de se développer à une température comprise entre 20 et 45 degrés. Selon les normes internationales, leur nombre ne doit pas dépasser 300 colonies par millilitre..

Un nombre de cellules jusqu’à présent sous-estimé

La méthode traditionnelle présente deux inconvénients majeurs : elle demande énormément de temps – il faut entre 3 et 10 jours pour obtenir le nombre de GAM – et ne permet de compter qu’une infime partie des germes réellement présents dans l’échantillon. En effet, seules les bactéries capables de se développer dans les conditions expérimentales et de former des colonies dénombrables sont prises en compte. Or ces dernières ne représentent en général que 0,01 à 1 % du total. Le seuil de tolérance de 300 UFC/ml (Unités Formant Colonies) également adopté par l’Ordonnance suisse sur l’hygiène se base donc sur une forte sous-estimation du nombre de microorganismes présents. En revanche, la méthode de culture livre généralement des résultats réalistes avec les entérocoques et d’E. coli. (Voir le nombre total de cellules dans différents types d’eau dans la Fig. 1).

Nombre total de cellules et empreinte digitale de l’eau

En décembre 2012, l’Office fédéral de la santé publique a complété la liste des méthodes d’analyse recommandées dans le manuel suisse des denrées alimentaires (MSDA) d’une nouvelle méthode, le procédé n°333 de détermination par cytométrie en flux du nombre total de cellules et du rapport entre cellules à forte et à faible teneur en acides nucléiques dans l’eau douce. Au lieu du nombre de GAM aujourd’hui dépassé, la cytométrie en flux permet maintenant de déterminer le nombre total de cellules contenues dans un échantillon en l’espace de quelques minutes (cf. box). Contrairement au nombre de GAM, ce paramètre donne une description réaliste de l’état microbiologique de l’eau et permet, au moins indirectement, de détecter les pollutions éventuelles. Par ailleurs, l’analyse des échantillons permet en parallèle de déterminer le rapport d’abondance entre les grandes et les petites cellules (respectivement à forte ou à faible teneur en acides nucléiques). Ce rapport est spécifique de chaque eau et constitue pour les spécialistes une véritable « empreinte digitale » : une variation subite de sa valeur peut être le signe de problèmes techniques ou de contaminations dans le réseau de distribution ou les installations de potabilisation.

Une nouvelle méthode standard est née

La Suisse est le premier pays au monde à adopter cette méthode innovante pour dénombrer les microorganismes dans l’eau. Stefan Kötzsch, spécialiste de l’eau potable, est certain que d’autres, comme les Pays-Bas, ne vont pas tarder à suivre. Sera-t-il nécessaire, étant donné le nombre de cellules aujourd’hui détectées, de revoir les seuils adoptés par la législation fédérale ? «Non, ça n’est ni utile ni même possible», estime Stefan Kötzsch. «En effet, chaque eau présente sa propre flore microbienne et une forte abondance de cellules n’indique pas nécessairement la présence de nombreux germes pathogènes» (Fig. 1). Stefan Kötzsch et ses collègues considèrent cependant que la méthode est promise à un bel avenir et qu’elle ne tardera pas à s’imposer comme méthode standard pour le contrôle de la qualité de l’eau potable. En effet, la cytométrie en flux peut être utilisée à tous les niveaux du système d’approvisionnement – du captage à la distribution chez le consommateur en passant par les installations de traitement – pour contrôler son bon fonctionnement, optimiser les procédés et détecter les défaillances techniques. Une version automatisée est actuellement à l’étude qui permettra à terme une surveillance en ligne du nombre de cellules bactériennes. 

Principe de la cytométrie en flux
A l’origine, la cytométrie en flux a été développée pour les usages médicaux et elle est notamment utilisée depuis les années 1980 pour l’analyse des cellules sanguines (d’assez grande taille). Pour l’étude de l’eau potable, les cellules (généralement petites) sont marquées par un colorant fluorescent qui se fixe sur l’ADN puis traversent un tube capillaire dans lequel elles sont parcourues par un rayon laser. Les signaux de diffusion et de fluorescence alors émis sont captés par des détecteurs puis analysés par un logiciel qui leur attribue un type spécifique de cellule.

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Figure 1:
Nombre de bactéries dans l’eau

Figure 2:
Principe de la cytométrie en flux

Figure 3:
Analyse typique d’un échantillon d’eau par cytométrie en flux. En haut : Le rapport des signaux fluorescents dans le vert (longueur d’onde 520 nm) et dans le rouge (630 nm) permet de distinguer les cellules des particules inertes et de les compter. En bas : Le rapport du signal fluorescent dans le vert et de la diffusion aux grands angles (SSC) permet de différencier les cellules en fonction de leur teneur en acides nucléiques