Détail

Encore de fortes concentrations de pesticides dans les ruisseaux

4 avril 2017 | Andri Bryner

Les petits cours d'eau sont pollués par une multitude d'herbicides, de fongicides et d'insecticides. Dans une étude réalisée sur mandat de l'Office fédéral de l'environnement qui paraît aujourd'hui, les normes de qualité de l'eau ne sont respectées dans aucun des cinq ruisseaux examinés. Même les concentrations de polluant présentant une toxicité aiguë pour les organismes aquatiques sont parfois dépassées. Des essais biologiques indiquent que les communautés biotiques sont affectées par les mélanges de composés. Un catalogue de mesures correctrices est actuellement en cours d'élaboration dans le cadre du « Plan d'action visant à la réduction des risques et à l'utilisation durable des produits phytosanitaires ». 

Les petits et très petits cours d'eau s'écoulent sur 45 000 kilomètres, soit les trois quarts du réseau hydrographique suisse. Jusqu'à présent, ils ne sont pas équipés de stations de mesure qui contrôlent la qualité de leur eau sur de longues périodes et les prélèvements ponctuels ne livrent pas toujours d'informations représentatives. Sur mandat de l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), l'Eawag et le Centre Ecotox ont étudié cinq ruisseaux aux bassins versants typiques des régions fortement agricoles en collaboration avec les cantons correspondants (TG, BL, BE, VS et TI) et l'Association des professionnels de l'épuration des eaux (VSA). Près de 1800 échantillons d'eau ont été prélevés de mars à août 2015. Les résultats paraissent aujourd'hui dans deux articles de la revue Aqua & Gas.

Un méli-mélo de substances et de fortes concentrations

La crainte d'une forte pollution des petits cours d'eau par les produits phytosanitaires se voit confirmée. Un nombre très élevé de composés a été détecté : les chercheurs ont mis en évidence 128 substances utilisées dans les cultures de plein champ, les cultures fruitières et légumières et la culture de la vigne, soit 61 herbicides, 45 fongicides et 22 insecticides (cf. Graphique). Dans 80 % des échantillons, l'exigence de qualité formulée dans l'ordonnance sur la protection des eaux (≤ 0,1 µg/l) n'était pas respectée pour au moins un des composés ― et ce, pendant plus de 60 jours dans les cinq ruisseaux et pendant tous les six mois de l'étude dans le Weierbach (BL) et l'Eschelisbach (TG). Des teneurs de 40 µg/l ont été relevées pour certaines substances. Tous les échantillons ayant été moyennés sur au moins une demi-journée, il est probable que ces valeurs cachent des pics de pollution encore plus élevés.

Une mixture à la toxicité aussi bien aiguë que chronique

Étant donné que le seuil de 0,1 µg/l par substance fixé par l'ordonnance sur la protection des eaux a une signification limitée vis-à-vis du risque réel encouru par les organismes, les chercheurs ont également comparé les résultats des analyses aux critères de qualité écotoxicologiques. En complément, ils ont réalisé des bioessais avec des algues et des gammares et étudié la diversité de la communauté d'invertébrés. En effet, chaque échantillon ne renfermait pas un seul pesticide mais entre 20 et 40 en moyenne. Les résultats sont sans équivoque : dans tous les cours d'eau, des dépassements parfois très élevés des critères de qualité correspondant à l'écotoxicité chronique ont été observés pendant deux semaines (TI) à cinq mois et demi (BL, TG) ; dans quatre ruisseaux, même les concentrations auxquelles les mélanges de pesticides représentent un risque de toxicité aiguë pour les organismes sensibles pouvaient être dépassées pendant une période allant jusqu'à deux mois (VS). Les gammares placés dans l'un des cours d'eau pour les essais présentaient un taux de mortalité accru et un comportement léthargique. La qualité de l'eau a ainsi été classée dans les catégories « médiocre » et « mauvaise » sur toutes les stations de mesure. La pollution et le risque les plus faibles ont été mesurés sur le site tessinois, celui dont le bassin versant présente l'activité agricole la moins forte. Marion Junghans, du Centre Ecotox, résume : « L'exposition à un mélange sans cesse variable de substances à des concentrations problématiques et la longue persistance d'un risque élevé ne laissent souvent aucun répit aux organismes aquatiques. »

Plan d'action « Produits phytosanitaires » en cours d'élaboration

Pour Stephan Müller, le chef de la division Eaux de l'OFEV, les résultats confirment le fait que les produits phytosanitaires issus de l'agriculture sont actuellement, avec les micropolluants transitant par les stations d'épuration, la principale source de pollution chimique des eaux de surface suisses et en particulier des petits ruisseaux. Ces derniers méritent cependant une attention particulière étant donné qu'ils jouent un rôle écologique important, notamment pour les poissons, en tant que « pépinières » pour les juvéniles et que refuge pour les adultes.

Grâce aux mesures techniques récemment décidées par le Parlement, les rejets de micropolluants par les stations d'épuration peuvent être divisés de moitié. D'après Müller, il s'agit maintenant de réduire efficacement la pollution par les produits phytosanitaires. En mettant l'accent sur la protection des eaux, le plan d'action « Produits phytosanitaires » actuellement en cours d'élaboration sous la direction de l'Office fédéral de l'agriculture est un pas décisif en ce sens. Les utilisateurs de pesticides sont exhortés à les employer avec précaution et discernement et à s'efforcer de réduire les quantités appliquées.

Sites de prélèvements

Substances détectées

Quotients de risque de mélange chronique (RQ) pour la concentration moyenne pondérée dans le temps mesurée.  Au-dessus de RQ 2 la qualité de l’eau est insuffisante, au-dessus de RQ 10 mauvaise.

Prélèvements dans le Weierbach (BL)