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Comment le plastique est-il réellement biodégradable?

24 octobre 2022 | Peter Rüegg, ETH Zürich

Des chercheurs de l’EPF Zurich et de l’Eawag ont développé une méthode qui leur permet de saisir en détail et de suivre en intégralité la biodégradation des plastiques dans les sols.

L’agriculture moderne utilise beaucoup de plastique, en particulier pour les films de paillage dont les agricultrices et agriculteurs se servent pour recouvrir le sol arable. Cela protège les cultures du dessèchement, empêche la croissance des mauvaises herbes et favorise celle des plantes utiles.

Cependant, il est généralement très long et coûteux pour les agriculteurs et agricultrices de récupérer et d’éliminer les films de polyéthylène (PE) conventionnels. Il est d'autre part impossible de récupérer tous les films PE fins, car ils se déchirent facilement: cela signifie que les morceaux de PE restent sur et dans les sols où il s’accumulent, car le PE ne se dégrade pas.

Les films de paillage biodégradables offrent une alternative prometteuse car - contrairement aux films PE - ils ne laissent aucun composant polymère dans l’environnement. Les polymères biodégradables sont délibérément conçus pour que les micro-organismes les utilisent pour générer de l’énergie et construire de la masse cellulaire. Ces polymères ont des «points de rupture» chimiques dans leur structure de squelette. Les micro-organismes naturels, tels que ceux du sol, peuvent libérer des enzymes dans leur environnement qui attaquent ces points de rupture dans les polymères et les décomposent. Les fragments libérés sont ensuite absorbés par les microbes et finalement transformés pour former le produit final, le CO2.

C’est pourquoi il est crucial de prouver la formation de CO2, car outre les plastiques véritablement biodégradables, il existe aussi des plastiques à base de PE contenant des additifs spécifiques qui ne se décomposent qu’en très petits micro plastiques invisibles à l'œil nu. Ceux-ci ne sont pas dégradés par les micro-organismes et s’accumulent dans l’environnement.

Une nouvelle approche suit la biodégradation dans son intégralité

Jusqu’à présent, sur la base des méthodes existantes, il n’a pas été possible de prouver et de suivre la biodégradation des polymères dans son intégralité. Mais au cours de ces dernières années, un groupe de chercheurs de l’EPF Zurich et de l’institut de recherche sur l’eau Eawag a développé une nouvelle approche pour suivre et mesurer si et dans quelle mesure un polymère se dégrade dans le sol. Les conclusions de ce travail viennent d’être publiées dans le magazine scientifique Nature Communications.

Ces résultats pourraient modifier la façon dont sera étudiée à l’avenir la biodégradation des polymères. L’étude a impliqué des chercheurs du groupe chimie de l’environnement ainsi que du département des Sciences de la Terre de l’EPF Zurich, de l’Eawag et des collaborateurs du groupe de produits chimiques BASF.

Cette nouvelle approche est basée sur l’utilisation de polymères marqués avec des isotopes de carbone (13C) stables. Cela permet aux chercheurs de suivre de manière ciblée et sélective le carbone 13C du polymère pendant la biodégradation dans le sol et de démontrer sans équivoque que la biodégradation se produit effectivement.
 

Cliché de microscopie électronique de la surface d’un film PBS après six semaines d’incubation dans le sol: la surface du PBS est déjà sensiblement dégradée par les champignons et les bactéries colonisateurs.
(Photo: Michael Zumstein)

Jusqu’à présent, la biodégradabilité du plastique n’avait été testée que sur des polymères non marqués par des isotopes. Un polymère (ou une matière plastique composée d’un ou plusieurs polymères) est certifié biodégradable si, pendant une période d’incubation définie, une quantité minimale de carbone du polymère est convertie en CO2. La norme pour les films de paillage biodégradables, par exemple, exige des incubations de sol de deux ans au cours desquelles au moins 90 pour cent du carbone du film sont «minéralisés» en CO2.

Ces procédures de test sont entre-temps établies et appropriées pour démontrer la minéralisation des polymères. Mais elles ne couvrent pas l’ensemble de la biodégradation, car elles mesurent uniquement la formation de CO2. Avec les procédures standard actuelles, les chercheurs n’ont pas pu enregistrer la quantité de carbone du polymère qui reste dans le sol à l’issue des périodes d’incubation. Il n’a pas non plus été possible de savoir si ce carbone résiduel était toujours présent sous forme de polymère ou si les micro-organismes l’avaient déjà intégré dans leur biomasse.

Des bilans de masse fermés ont été établis

L’approche développée par les chercheurs de l’EPF et de l’Eawag élimine ces incertitudes. Ils ont utilisé pour leurs tests le succinate de polybutylène marqué au 13C (PBS). Le PBS est un polyester biodégradable commercialement important, utilisé aussi dans les films de paillage.

Les chercheurs étaient désormais en mesure de suivre de manière sélective l'isotope de carbone dans le PBS pendant la biodégradation: en plus de déterminer la minéralisation du 13CO2, les auteurs ont pu établir des bilans de masse complets pour le carbone du PBS en quantifiant la quantité résiduelle de carbone dérivé du PBS 13C restée dans le sol après incubation.

«Nous étions heureux de voir des bilans de masse fermés pour le carbone sur les 425 jours d’incubation dans le sol. Cela a montré que nous pouvons déterminer précisément où finit le carbone du polymère – pour environ deux tiers dans le CO2 et un tiers dans le sol – et ce sur de très longues périodes d’incubation», explique l’auteur principal de l’étude, Taylor Nelson, qui a préparé sa thèse dans le groupe chimie de l’environnement de l’EPF.

Les chercheurs ont également voulu savoir sous quelle forme le carbone ajouté sous forme de PBS restait dans le sol, c’est-à-dire quelle quantité a été incorporée dans la biomasse microbienne et quelle quantité était encore présente sous forme de PBS résiduel.

Pour répondre à cette question, les auteurs ont extrait et quantifié le PBS résiduel du sol. Ils ont pu montrer que si la majeure partie du carbone était encore présente sous forme de PBS, une quantité importante, 7 pour cent du carbone PBS, avait été incorporée dans la biomasse microbienne.

La capacité de déterminer exactement la quantité de polymère restante et la quantité de carbone polymère incorporée dans la biomasse est essentielle pour les futures études et le développement de nouveaux polymères biodégradables: «Nous pouvons désormais analyser systématiquement quelles conditions du sol et quelles propriétés des polymères permettent la biodégradation intégrale des polymères en CO2 et en biomasse microbienne - et nous pouvons évaluer les facteurs susceptibles de ralentir la biodégradation des polymères au fil du temps», explique Michael Sander, professeur à l’EPF dans le groupe chimie de l’environnement.

Réduire la pollution par le plastique

Ce travail est déjà en cours: avec cette nouvelle approche, le groupe étudie actuellement la biodégradation d’autres polymères dans divers sols agricoles, y compris dans les champs. «Nous voulons nous assurer que les polymères biodégradables portent bien leur nom et ne restent pas dans l’environnement», déclare Kristopher McNeill, professeur de chimie de l’environnement à l’EPF Zurich et chef du groupe de recherche du même nom.

«Remplacer les polymères conventionnels par des polymères biodégradables peut aider à réduire la pollution par le plastique, en particulier pour les applications dans lesquelles les polymères sont directement utilisés dans l’environnement et présentent une forte probabilité d’y rester après leur utilisation», insiste Sander.

Photo de couverture: L’agriculture utilise en masse les films de paillage. Tous ne sont pas réellement biodégradables. (Photo: iStock)
 

Publication originale

Nelson, T. F.; Baumgartner, R.; Jaggi, M.; Bernasconi, S. M.; Battagliarin, G.; Sinkel, C.; Künkel, A.; Kohler, H.-P. E.; McNeill, K.; Sander, M. (2022) Biodegradation of poly(butylene succinate) in soil laboratory incubations assessed by stable carbon isotope labelling, Nature Communications, 13(1), 5691 (16 pp.), doi:10.1038/s41467-022-33064-8, Institutional Repository