Détail

Des fibres pour calculer les turbulences chaotiques

17 septembre 2021 | ETH Zürich, Daniel Meierhans

Le comportement chaotique des tourbillons rend entre autres les prévisions météorologiques très difficiles. Des chercheurs de l’EPF Zurich, de l’Eawag et du WSL ont à présent développé avec des partenaires internationaux une toute nouvelle méthode expérimentale qui permet de réaliser avec beaucoup moins de travail des analyses plus précises des mouvements des énergies et des turbulences dans les fluides.

Les turbulences font partie des phénomènes naturels à la fois les plus importants et les moins compris. Et ce en météorologie, comme pour les phénomènes de courants dans les fleuves, jusqu’aux réacteurs de l’industrie chimique ou biologique et à la circulation sanguine: partout où fluides et gaz sont en mouvement, les hiérarchies de tourbillons déterminent comment l’énergie se déploie et agit localement. Les limites des modèles de prévisions sont aujourd’hui déterminées pour une grande partie par notre compréhension limitée des turbulences et de leurs interactions.

Des chercheurs de l’EPF Zurich, de l’Eawag et de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL ont à présent développé avec des partenaires d’autres hautes écoles un tout nouveau procédé expérimental permettant de saisir plus précisément, mais surtout beaucoup plus facilement, les énergies des tourbillons dans les fluides, sur toute la largeur d’une échelle comprise entre quelques millimètres et des centaines de mètres. Cette méthode ouvre la voie pour une bien meilleure qualité des prévisions et recèle le potentiel de nous aider à passer à un niveau supérieur de compréhension des mouvements chaotiques.

Une petite modification peut tout changer

Markus Holzner et Stefano Brizzolara du groupe Mécanique des fluides pour l’environnement - une unité de recherche interdisciplinaire commune à l’Eawag et au WSL - ont pour cela aborder le problème de la mesure des turbulences avec une toute nouvelle approche. Alors que les méthodes précédentes suivaient le mouvement de particules marqueurs sphériques, eux suivent le mouvement des extrémités de fibres rigides suspendues dans le fluide. Ce qui semble une petite modification de la configuration expérimentale a des conséquences énormes sur le travail de mesure et sur la précision.

Les extrémités des fibres fournissent des données statistiquement nécessaires

La grande différence: les rotations des extrémités d’une seule fibre fournissent toutes les données statistiques nécessaires pour caractériser le mouvement d’un tourbillon et de son énergie. Jusqu’à présent, les chercheur devaient pour cela utiliser beaucoup, mais surtout toujours plus, et en permanence, de particules marqueurs. En effet, les sphères flottantes se dispersent automatiquement dans un fluide et leur distance moyenne s’allonge rapidement en raison de la diffusion turbulente.

En laboratoire, où les chercheurs enregistrent le mouvement des particules dans des boîtes de mesure transparentes remplies d’eau, un nombre toujours croissant de particules à mesurer pousse le système d’enregistrement par caméra à ses limites fondamentales. À plus de 10'000 particules, elles se recouvrent mutuellement trop souvent. C’est pourquoi la résolution des mesures ne peut plus être augmenter.

Lors de l’analyse des courants et des tourbillons en pleine mer, un grand nombre de bouées de traçage et leur remplacement permanent, comme cela est nécessaire avec la méthode conventionnelle en raison de la dérive continue des bouées, entraînent d’abord des coûts matériels élevés. Mais le temps de travail augmente aussi en conséquence, comme l’explique Holzner. Si les bouées sont reliées entre elles par des câbles comme des fibres géantes, elles ne peuvent plus dériver les unes par rapport aux autres.

Une fibre rigide effectue la même rotation que le fluide

Pour prouver la pertinence du principe pour la pratique, les chercheurs ont testé leur système de manière intensive. Ils ont utilisé pour cela un système en 3D de mesure de la vitesse des particules, comme il est aussi utilisé pour les analyses des particules sphériques. Ils ont ainsi pu montrer que les fibres rigides fournissent des résultats aussi bons que les fibres flexibles.

Toutefois, le travail de calcul est beaucoup moins long pour une géométrie fixe. Cela s’explique par le fait que les fibres rigides effectuent toujours leur rotation à la vitesse du tourbillon car la viscosité empêche le liquide de glisser sur une fibre rigide. À l'inverse, les fibres flexibles tournent non seulement avec le mouvement tourbillonnaire du liquide, mais elles se courbent et oscillent avec une fréquence tout aussi importante.

Des marées aux valves cardiaques

Selon Markus Holzner, l’avantage majeur de la méthode de mesure des fibres réside dans son extraordinaire transférabilité à toutes les proportions pertinentes pour les phénomènes tourbillonnaires, de quelques millimètres à plusieurs centaines de mètres. Pour analyser par exemple un tourbillon en mer, la fibre peut être équipée de deux bouées dotées d'un GPS qui marquent les extrémités et sont reliées entre elles par un câble de cent mètres de long. À partir des mesures des mouvements des bouées, il est ensuite possible de calculer par exemple les prévisions de dispersion des pollutions de pétrole ou de déchets en plastique.

À l’autre bout de l’échelle, on comprend la formation de tourbillons dans les valves cardiaques, qui peuvent être à l’origine de problèmes de santé. Dans ce cas, il est possible d’expérimenter notamment sur des modèles en silicone avec des fibres de l’ordre du millimètre.

À l’orée de nouvelles découverte

Lors des premières présentations des travaux de recherche à des congrès scientifiques, Stefano Brizzolara a constaté que la méthode des fibres inspire aussi d’autres chercheurs. L’un veut adapter le système à un modèle physique de grande dimension pour la simulation des marées, d’autres planifient des expériences avec un alignement spécifique de plusieurs fibres.

«En science, les nouvelles méthodes expérimentales ouvrent toujours des portes vers de nouvelles découvertes», comme le sait d’expérience le chercheur. La nouvelle méthode de mesure des turbulence a le potentiel de rendre les systèmes de courant par principe chaotique beaucoup plus prévisibles, et donc, entre autres, de permettre de meilleurs modèles de prévision.
 

Jusqu’à présent, il fallait suivre en laboratoire les mouvements de milliers de particules sphériques qui se recouvrent souvent mutuellement.
(Photo: Holzner Lab / Environmental Fluid Mechanics – EFM)

Photo de couverture: iStock

Publication originale

Brizzolara S, Rosti ME, Olivieri S, Brandt L, Holzner M, Mazzino A. Fiber Tracking Velocimetry for Two-Point Statistics of Turbulence. Physical Review, DOI: 10.1103/PhysRevX.11.031060
https://doi.org/10.1103/PhysRevX.11.031060

Financement / Coopérations

  • Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG)
  • Universität Genua (Prof. A Mazzino)
  • KTH Stockholm (Prof. L Brandt)
  • Okinawa Institute of Science and Technology (Prof. M Rosti)