Détail de l'archive

Dynamique des gaz dans les centres de stockage des déchets radioactifs

31 janvier 2019 | Mirella Wepf

Une équipe de l'Eawag s'est associée à la Nagra et à l'université de Berne pour étudier la dynamique des gaz dans une simulation de stockage final d'éléments combustibles usés. Les résultats sont parfois surprenants mais livrent une appréciation positive en matière de sécurité.

Le laboratoire souterrain du Mont Terri a été aménagé dans la roche à 300 mètres de profondeur au nord de Saint-Ursanne, dans le canton du Jura. Divers essais de longue durée y sont actuellement menés afin de mettre au point un système de stockage des déchets radioactifs qui présente un degré de sécurité maximal.

Dès février 2015, la Nagra (Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs) lançait un projet visant à déterminer les effets de la chaleur dégagée par la désintégration des déchets radioactifs dans un dépôt en couches géologiques profondes. Pour le mener à bien, les scientifiques de la Nagra ont installé trois conteneurs de stockage final dans une galerie et les ont munis de corps de chauffe pour simuler le dégagement de chaleur d'éléments combustibles usés. Ils ont ensuite rempli le tunnel de bentonite granulaire en veillant à n'y laisser aucun espace vide et l'ont hermétiquement clos avec un bouchon de béton de cinq mètres d'épaisseur. Les scientifiques observeront pendant plus de 10 ans comment se comportent la roche alentour (argile à Opalinus) et le matériau de remplissage.

Essais sur la dynamique des gaz

En août 2016, l'université de Berne et l'Eawag ont rejoint le projet en lui apportant un aspect totalement innovant. Leur propos est en effet de savoir comment l'air résiduaire emprisonné entre les granulés de bentonite se comporte si de l'eau s'infiltre lentement dans le tunnel au cours des décennies voire des siècles à venir.

«Nous venions de développer à l'Eawag un spectromètre de masse portatif qui permettait de mesurer différents gaz à n'importe quel endroit», explique Rolf Kipfer, chef du groupe Isotopes environnementaux à l'Eawag. Grâce à «mini Ruedi» – comme l'appareil a été baptisé –, il devenait possible d'effectuer sur place et en un rien de temps des analyses de gaz qui demandaient autrefois des mois de travail de laboratoire.

Yama Tomonaga, spécialiste de la dynamique des gaz rares dans les sédiments à l'Eawag, a installé un mini Ruedi au laboratoire souterrain et enregistré en continu les concentrations de neuf gaz différents (N2, O2, Ar, He, Kr, Xe, H2, CH4 et CO2) au cours des deux dernières années. Tous ces gaz sont également présents dans l'atmosphère, mais à très faible concentration. Ces mesures ont notamment été complétées de dosages traditionnels de gaz rares et d'un suivi des teneurs en oxygène par des sondes placées par la Nagra dans le tunnel.

Les résultats ont en partie étonné les scientifiques : comme ils s'y attendaient, les analyses attestent de l'existence d'échanges gazeux entre les granulés compacts de bentonite et l'eau interstitielle de l'argile à Opalinus. Toutefois, ces échanges se produisent de manière un peu inattendue et, surtout, beaucoup plus rapide que prévu. L'eau interstitielle de l'argile joue en effet à la fois un rôle de puits (pour l'oxygène par exemple) et de source pour les gaz (pour l'hélium, l'argon, le méthane et le dioxyde de carbone par exemple).

Les scientifiques ont également étudié les concentrations de gaz potentiellement inflammables dans le tunnel. Tomonaga tire un bilan positif de leurs observations : «L'accumulation d'hydrogène (H2) et de méthane (CH4) est si faible qu'elle ne présente aucun risque actuellement.»

Un constat étonnant en ce qui concerne l'oxygène

Les modélisations effectuées jusqu'à présent laissaient supposer qu'il faudrait au moins plusieurs décennies pour que l'oxygène contenu dans le tunnel soit complètement épuisé. On sait en effet que l'oxygène est notamment dégradé par réaction avec la pyrite contenue dans la bentonite et l'argile à Opalinus ou par l'action de bactéries.

Les mesures du Mont Terri ont révélé une toute autre réalité : dans le tunnel expérimental, l'oxygène avait presque totalement disparu au bout de quelques mois à peine. Parallèlement, les concentrations d'azote, d'argon et de crypton avaient augmenté. Du point de vue de la sécurité du stockage en couches géologiques profondes, cette consommation rapide d'oxygène est une bonne nouvelle : en l'absence d'oxygène, la corrosion des conteneurs de déchets radioactifs est beaucoup plus lente.

Après avoir effectué des recherches complémentaires dans leurs laboratoires de l'Eawag à Dübendorf, les scientifiques estiment aujourd'hui que la disparition rapide de l'oxygène est notamment due au matériau choisi pour le remplissage du tunnel. Yama Tomonaga explique le phénomène : «La bentonite se comporte apparemment comme du charbon actif. Cette argile très expansive fixe les gaz par adsorption et les accumule.» Ce processus, comme beaucoup d'autres questions encore sans réponse, sera étudié plus en détail. «Pour le moment, par exemple, nous connaissons encore mal l'influence des diverses installations techniques placées dans le tunnel (sondes, capteurs, fils électriques, éléments métalliques, etc.) sur la dynamique des échanges gazeux», confie Tomonaga.

Un autre phénomène a fasciné même les spécialistes les plus avertis : ils se sont aperçus que les gaz contenus dans l'eau interstitielle de l'argile à Opalinus interagissaient avec l'air emprisonné dans la bentonite et ce, même en l'absence d'infiltrations d'eau dans le tunnel. «Nous constatons que des échanges gazeux se produisent déjà, alors que l'eau n'est même pas encore présente ! explique Rolf Kipfer. Nous devons absolument creuser cette question.»

L'Eawag a donc décidé de poursuivre les essais avec mini Ruedi. Niels Giroud, chef de projet à la Nagra, s'en félicite : «Les recherches sur la dynamique des gaz nous sont d'un apport extrêmement précieux. Par ailleurs, nous sommes très heureux des conclusions positives des essais déjà réalisés en ce qui concerne la sécurité à long terme d'un futur stockage.»


L'Eawag devient membre du consortium du Mont Terri

Dès l'été 2019, l'Eawag deviendra, comme l'Institut Paul Scherer et l'EPF de Zurich, partenaire à part entière du projet du Mont Terri. Ce statut facilitera l'accès des chercheurs et chercheuses de l'Eawag à cet extraordinaire laboratoire souterrain et leur permettra d'y réaliser plus facilement des essais indépendants.

Publications

Tomonaga, Y.; Giroud, N.; Brennwald, M. S.; Horstmann, E.; Diomidis, N.; Kipfer, R.; Wersin, P. (2019) On-line monitoring of the gas composition in the Full-scale Emplacement experiment at Mont Terri (Switzerland), Applied Geochemistry, 100, 234-243, doi:10.1016/j.apgeochem.2018.11.015, Institutional Repository

Giroud, N., Tomonaga, Y., Wersin, P., Briggs, S., King, F., Vogt, T., & Diomidis, N. (2018). On the fate of oxygen in a spent fuel emplacement drift in Opalinus Clay. Appl. Geochem., 97, 270-278, http://doi.org/10.1016/j.apgeochem.2018.08.011.

Photos

Vue sur l'intérieur de la galerie FE. Au premier plan, un conteneur de stockage final muni d'un système de chauffe qui lui permet de simuler un conteneur réel renfermant des éléments combustibles usés dégageant de la chaleur de désintégration. Les tubes en forme de cigarette font partie de la machine de remplissage du tunnel ; ils permettent de déverser la bentonite à l'endroit voulu. (Photo: Nagra)

Conception de l'essai avec les conteneurs chauffés dans la galerie du Mont Terri. L'objectif est de montrer comment la chaleur de désintégration dégagée par les déchets radioactifs dans un dépôt en couches géologiques profondes agit à long terme sur la roche environnante. À cette fin, les scientifiques de la Nagra ont placé trois conteneurs de stockage final dans une galerie et les ont munis de corps de chauffe pour simuler le dégagement de chaleur des éléments combustibles usés. (Photo: Nagra)

Un constat surprenant : l'oxygène emprisonné dans le matériau de remplissage du tunnel ne disparaît pas en l'espace de plusieurs années, comme on le pensait, mais en quelques mois à peine.
(Source : Giroud et al. 2018)

Yama Tomonaga sur son lieu de travail à 300 mètres sous terre. Celui-ci se trouve juste à côté de l'entrée de la galerie d'essais.
(Photo : Swisstopo)