Détail de l'archive

L'eau du lavage des mains réduite à un minimum

22 octobre 2018 | Stephanie Schnydrig

En général, l'eau ayant servi à se laver les mains est tout simplement évacuée alors qu'elle n'est quasiment pas souillée. Grâce à une nouvelle technologie, il est aujourd'hui possible de la récupérer et de la réutiliser. Cela permet non seulement d'économiser l'eau mais aussi, et surtout, de prévenir les maladies infectieuses dans les pays défavorisés.

Selon l'OMS, près de quatre millions de personnes meurent chaque année de diarrhées ou d'infections des voies respiratoires. Dans les pays peu développés, en particulier, cela est généralement dû à un manque d'hygiène : un lavage régulier des mains réduirait déjà fortement les risques. Mais comment faire sans eau potable ni eau courante ? C'est sur cette question que travaille Eberhard Morgenroth, professeur à l'ETHZ et chef de département à l'Eawag, avec son équipe dans le projet des «Blue Diversion Autarky». Les ingénieurs et d'ingénieures de l'environnement ont maintenant développé une technologie qui permet de réutiliser indéfiniment les eaux grises – c'est à dire les eaux légèrement salies par le lavage du corps (douche, bain, lavage des mains) – sans qu'elles aient besoin de passer par une station d'épuration centralisée.

«Certaines technologies du commerce permettent déjà de traiter les eaux grises sur place de façon à les réutiliser pour les toilettes mais le degré de propreté atteint ne permet pas encore d'autres usages», indique Morgenroth.

Moins de bactéries que dans l'eau potable distribuée à Zurich

Ce n'est pas le cas de la station de recyclage de l'eau que Morgenroth et son équipe mettent au point depuis sept ans avec l'aide de microbiologistes, de sociologues, d'urbanistes et de designers. Au bout de plusieurs étapes de traitement, les eaux grises sont débarrassées de leur odeur et de leur couleur et renferment même moins de bactéries que l'eau potable distribuée à Zurich.

Le cœur de l'installation est constitué d'une membrane d'ultrafiltration en plastique qui retient les germes pathogènes et à la surface de laquelle vivent des bactéries qui dégradent les résidus d'urine et d'excréments contenus dans l'eau souillée. Mais, comme les scientifiques l'ont observé dans une étude récente, un problème se pose : l'eau du lavage des mains renferme trop peu de nutriments, si bien que les bactéries manquent rapidement de nourriture et ne peuvent plus effectuer leur travail correctement ; le taux de dégradation descend alors à 85%. La solution trouvée est aussi simple qu'efficace : «Si on enrichit le savon en éléments nutritifs, en azote et en phosphore par exemple, les bactéries redeviennent totalement performantes et dégradent presque 100% des résidus», révèle Morgenroth.

Après être passée par la membrane, l'eau traverse un filtre à charbon actif qui fixe la matière organique encore présente. Pour finir, une cellule d'électrolyse produit du chlore à partir des sels dissous, ce qui désinfecte l'eau durablement.

Les «Autarky Water Walls» conçus par la société de design autrichienne EOOS mis au banc d'essai dans le hangar expérimental de l'Eawag.
(Photo : Christopher Ziemba, Eawag)

Une possibilité pour les toilettes de train

Même si le système est principalement conçu pour les régions manquant d'infrastructures, d'autres utilisations sont envisagées. Pour Morgenroth, en effet, «il est irréaliste de penser qu'une entreprise va produire de telles stations de lavage des mains uniquement pour les pays en développement». Ce ne serait pas rentable. Les ingénieurs ont donc étudié d'autres options, dont notamment une utilisation pour les toilettes de train. «Les exploitants et équipementiers ferroviaires sont très intéressés par notre invention, déclare Morgenroth.  Le fait qu'elle dispense le personnel de changer l'eau constamment la rend certainement lucrative.» Il estime de toute façon que le recyclage de l'eau va finir par se généraliser, même en Suisse, puisque, selon les modèles climatiques, les sécheresses devraient se multiplier. En effet, «de plus en plus de régions ne pourront alors plus se payer le luxe d'utiliser de l'eau potable pour tous les usages.»

Essai de terrain réussi dans un parc zurichois

Un essai de terrain a été réalisé cet été pour montrer que la station de recyclage ne fonctionnait pas uniquement en théorie ou en conditions de laboratoire mais également dans la vie de tous les jours. Un prototype a été installé pendant deux mois sur la friche du stade du Hardturm – un espace public situé en plein cœur de Zurich – pour permettre aux visiteurs de se laver gratuitement les mains. Pari gagné : alors qu'elle a parfois servi à plus de cent personnes en une seule journée, la station a imperturbablement livré une eau débarrassée de bactéries, de virus, de résidus, d'odeur et de couleur en quantité suffisante.

La station de recyclage de l'eau partira bientôt pour un autre essai de terrain. À compter du mois de janvier, elle sera installée pendant deux mois dans les quartiers pauvres de la ville sud-africaine de Durban afin de savoir si elle peut fonctionner de manière prolongée dans un tel milieu.

Des habitants Nairobi portant un «Water Wall» dans le quartier défavorisé de Mukuru. Cet ancien modèle y avait été testé en 2015.
(Photo : EOOS)

Le projet Blue Diversion Autarky est financé par la «Bill and Melinda Gates Foundation». 

Article original

Ziemba, C.; Larivé, O.; Reynaert, E.; Morgenroth, E. (2018) Chemical composition, nutrient-balancing and biological treatment of hand washing greywater, Water Research, 144, 752-762, doi:10.1016/j.watres.2018.07.005, Institutional Repository