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Mesurer le bénéfice écologique des revitalisations

3 novembre 2016 | Andres Jordi

Les projets de revitalisation fluviale ont valeur de modèle dans le domaine environnemental. Mais on ne sait pas toujours ce qu'ils apportent sur le plan écologique puisqu'ils ne sont pas systématiquement suivis de contrôles d'efficacité. Des  scientifiques de l'Eawag présentent maintenant un système qui permet de mieux quantifier les effets écologiques des mesures de revitalisation. Texte : Andres Jordi

Où ne se trouvait qu'un canal bétonné monotone, s'étendent maintenant les méandres boisés d'une rivière souriante. L'avantage d'un cours d'eau revitalisé semble sauter aux yeux. Mais ce qui plaît à notre regard est-il nécessairement bon pour la nature ? « Malgré la multiplication des projets de revitalisation, nous en savons assez peu sur leur bénéfice écologique, souligne Amael Paillex, chercheur à l'Eawag. Le succès des revitalisations est rarement évalué et quand il l'est, le contrôle se limite souvent à des groupes d'organismes définis en négligeant des facteurs tels que la qualité de l'eau ou les conditions hydrologiques. » Et de déplorer : « L'insuffisance du suivi nous empêche de profiter de l'expérience actuelle pour les projets futurs. » Dans les 80 années à venir, les cantons suisses sont tenus de revitaliser un quart de leurs cours d'eau endigués et en mauvais état écologique. C'est ce que prévoit la loi sur la protection des eaux révisée en 2011 et cela concerne au total près de 4000 kilomètres de cours d'eau.

La nécessité d'une évaluation systématique

Face à ce constat, Paillex a développé un système d'appréciation systématique des effets écologiques des revitalisations avec des chercheuses et chercheurs du département Analyse des systèmes, évaluation intégrée et modélisation de l'Eawag et de l'université de Duisburg - Essen. Leur méthode est basée sur des principes d'analyse mathématique tirés de la théorie de la décision et s'appuie sur le système modulaire gradué d'appréciation de la qualité des lacs et cours d'eau suisses. Elle prend en compte tous les niveaux d'organisation  d’un cours d'eau, de la morphologie et de l'hydrologie à la faune et la flore en passant par la qualité de l'eau. Les scientifiques ont complété les systèmes d'appréciation existant pour les poissons et les invertébrés de méthodes concernant les carabes, la végétation riveraine et les plantes aquatiques.

Des paramètres sont mesurés à chaque niveau d'organisation : la variabilité de la largeur du lit, les teneurs en nutriments et en pesticides ou le nombre d'espèces par exemple. Les valeurs obtenues sont ensuite comparées à des valeurs de référence correspondant à des milieux non perturbés, ce qui permet de calculer un écart entre état actuel et état souhaité. « Par un procédé mathématique, nous en déduisons des notes de qualité qui permettent d'attribuer des classes de qualité aux paramètres mesurés », explique Paillex. Un 0 indique ainsi un mauvais état et un 1 un très bon état. La comparaison des notes déterminées avant et après une revitalisation permet alors de mesurer son effet à chaque niveau d'organisation et son apport à l'état écologique général du tronçon. Pour savoir si une amélioration est réellement significative ou si elle n'apparaît que suite à la variabilité des résultats, des domaines d'incertitude sont déterminés pour chaque note.

Fig. 2 : Secteurs revitalisés de la Thur (à gauche) et de la Töss (à droite). Photos : Amael Paillex, Peter Reichert

Des habitats plus diversifiés dans la Thur et la Töss

Paillex et ses confrères ont montré comment fonctionnait la méthode en prenant l'exemple des revitalisations de la Thur et de la Töss. Ces deux rivières ont été canalisées au milieu du XIXe siècle pour limiter les risques d'inondation et libérer des terres pour l'agriculture et ont été en partie revitalisées au cours des dernières décennies (Fig. 2). Les scientifiques ont étudié un tronçon de 1,5 km de long restauré en 2002 par le canton de Zurich sur la Thur et un tronçon de 200 m amélioré en 1999 sur la Töss. Ils ont ensuite comparé les secteurs revitalisés à des secteurs non revitalisés équivalents. « Nos analyses montrent que l'état écologique s'est globalement amélioré dans les zones revitalisées aussi bien dans la Thur que dans la Töss », commente Paillex. Alors que les tronçons non revitalisés des deux rivières sont classés dans la catégorie « médiocre », l'état de la Thur est jugé moyen après revitalisation et celui de la Töss presque bon  (Fig. 3).

Fig. 3 : Appréciation de l'état écologique de tronçons revitalisés et non revitalisés de la Thur et de la Töss. Les traits noirs verticaux indiquent les notes de qualité (médianes) et les surfaces de couleur les domaines d'incertitude correspondants. Les classes de qualité et le code de couleurs ont été repris de la procédure Suisse d'analyse et d'appréciation des cours d'eau et se rapprochent de celles établies pour la directive cadre européenne sur l'eau.

Fig. 4 : Différences de diversité spécifique entre secteurs revitalisés et non revitalisés. Les notes obtenues pour la végétation riveraine (Fig. 3) montrent qu'une augmentation du nombre d'espèces n'est pas toujours un gage d'amélioration écologique.

Des améliorations apparaissent par exemple sur le plan morphologique. Les deux rivières se sont élargies au niveau des revitalisations où leur largeur, leur profondeur et la vitesse du courant varient plus fortement que dans les secteurs non revitalisés. Les zones ripariennes sont plus étendues et offrent une plus grande diversité d'habitats. La biodiversité profite également des interventions (Fig. 4). Le secteur revitalisé de la Thur abrite ainsi à nouveau 13 espèces de carabes alors que la zone non revitalisée n'en compte que 3. Sa note de qualité est ainsi de 0,67 (bon état) contre 0,04 (mauvais état) dans le secteur non revitalisé. Dans la Töss, la diversité des carabes passe de 2 à 9, ce qui fait augmenter la note de qualité qui passe de 0,03 à 0,69.

Les notes obtenues pour la végétation riveraine (0,47 pour la Thur et 0,39 pour la Töss) n'affichent en revanche pas d'amélioration sensible. De ce point de vue, les secteurs revitalisés sont jugés dans un état moyen voire médiocre (Fig. 3). Pour les scientifiques, cette situation serait liée à la colonisation des nouveaux espaces par des plantes non conformes aux nouveaux habitats, c'est-à-dire non alluviales, venues des terres agricoles voisines. Le manque de connexions avec d'autres milieux alluviaux rend le retour d'une végétation typique d'autant plus difficile. Les scientifiques y voient également l'une des raisons pour lesquelles les plantes aquatiques n'ont pas non plus profité des revitalisations. Dans la Thur, une élodée invasive affecte fortement les espèces autochtones; dans la Töss, le nombre d'espèces végétales aquatiques est même plus faible dans le tronçon revitalisé.

Profiter de l'expérience pour de futurs projets

Pour les scientifiques, le test effectué avec la Thur et la Töss montre que la méthode se prête bien à une évaluation du bénéfice écologique des revitalisations. « La mesure quantitative de l'état écologique à partir de paramètres physico-chimiques et biologiques pertinents et de leurs domaines d'incertitude livre une indication robuste de l'effet des revitalisations », estime Paillex. La méthode subira des adaptations pour être applicable dans les autres régions biogéographiques afin de tenir compte de leurs particularités en termes d'espèces par exemple. Elle présente d'autre part l'intérêt d'être facilement intégrable aux stratégies existantes de gestion des cours d'eau. Pour le chercheur, une chose est sûre : « Le contrôle systématique de l'efficacité des revitalisations permettrait non seulement de rendre leur bénéfice écologique plus visible mais aussi de profiter de l'expérience actuelle pour les projets futurs ».