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Quand le lit des rivières se bouche, les aquifères étouffent

3 décembre 2013 | Andri Bryner

Durant les dernières décennies, la concentration d’oxygène des aquifères du Mittelland a diminué, non pas régulièrement, mais en dent de scie. Le colmatage des lits des cours d’eau pourrait expliquer les variations observées, comme le montre une étude du Programme national de recherche «Gestion durable de l’eau» (PNR 61).

Une part importante de l’eau que nous consommons provient d’aquifères alimentés par infiltration le long des cours d’eau. Depuis quelques dizaines d’années, la température de l’eau des rivières augmente régulièrement. En analysant des données provenant de stations de pompage communales, les chercheurs Simon Figura, David Livingstone et Rolf Kipfer, de l’Eawag, ont observé que cette tendance se retrouve également dans les eaux souterraines. L’élévation de la température s’y monte en moyenne de 0,3°C à 0,6°C tous les dix ans.

Baisse en dents de scie

Une augmentation de la température des eaux souterraines a probablement une influence négative sur leur concentration en oxygène dissous. Elle favorise en effet l’activité biologique, et donc la consommation d’oxygène. Parallèlement, elle diminue la solubilité de l’oxygène dans l’eau.

Afin de vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont analysé le même jeu de données pour l’oxygène. Les résultats de l’étude (*) montrent effectivement une tendance à la baisse de l’oxygène dissous. Mais, contrairement à la température, cette baisse n’est pas continue, mais se fait en dents de scie: elle est régulièrement interrompue par de subites augmentations, que la seule température ne peut expliquer.

En analysant les variations des débits des cours d’eau et des volumes de pompage, les chercheurs ont élaboré une nouvelle hypothèse: les hauts débits des cours d’eau et les hauts volumes de pompage provoquent une augmentation des infiltrations d’eau en provenance des rivières, suivie par les subites augmentations de la concentration de l’oxygène. Toutefois, pour que ce phénomène se produise, il semble qu’il faille tout d’abord qu’une crue importante ait éliminé le colmatage du lit de la rivière. Ce nettoyage du filtre naturel qu’est le lit de la rivière permet alors à nouveau une plus importante infiltration et une réoxygénation des eaux souterraines.

Outre leur données, une observation in-situ soutient leur hypothèse sur l’effet de l’élimination du colmatage: durant les années 1970, une couche de moules zèbres d’environ cinq centimètres s’était formée au fond du Rhin à proximité d’une des stations de pompage étudiées. Quelques années plus tard, des plongeurs ont observé que cette couche qui colmatait le fond de la rivière avait disparu. Les mesures indiquent qu’une nette hausse de la concentration en oxygène dissous a suivi cette disparition.

Quelle tendance pour le futur?

Les scénarios climatiques pour le 21ème siècle prévoient une augmentation des extrêmes météorologiques. Les étés caniculaires du type de l’année 2003 devraient être de plus en plus fréquents. Or en 2003 déjà, quelques aquifères sont devenus anoxiques – avec notamment comme conséquence la solubilisation de particules de fer et de manganèse qui ont reprécipité dans les stations de pompage, en compliquant les opérations de pompage.

Mais, il devrait également y avoir davantage de crues à même de nettoyer le lit des cours eau et de favoriser l’oxygénation des eaux souterraines. Les chercheurs imaginent ainsi la poursuite de la lente diminution de la concentration en oxygène, mais estiment que les crues ainsi que les hauts débits et pompages empêcheront une anoxie continue des aquifères.

Article original

Figura, S.; Livingstone, D. M.; Kipfer, R. (2013) Competing controls on groundwater oxygen concentrations revealed in multidecadal time series from riverbank filtration sites, Water Resources Research, 49(11), 7411-7426, doi:10.1002/2013WR013750, Institutional Repository

Programme national de recherche «Gestion durable de l'eau» (PNR 61)

Le Programme national de recherche «Gestion durable de l'eau» (PNR 61) élabore des bases et méthodes scientifiques pour une gestion durable des ressources hydrologiques, celles-ci étant toujours davantage mises à contribution. Le PNR 61 détermine les effets des changements climatiques et sociaux sur cette ressource et identifie les risques et les futurs conflits liés à son exploitation. Il développe des stratégies pour assurer à l'avenir une exploitation durable et intégrée des ressources en eau. Le PNR 61 dispose de 12 millions de francs pour une durée de quatre ans de recherche. Site Internet du PNR 61 «Gestion durable de l'eau»: www.nfp61.ch

Photos

Station de pompage,
© PNR 61

David Livingstone, Simon Figura et un collaborateur des service de l’eau de Winterthur discutant dans une station de pompage.
© PNR 61

Analyse des données relatives à la concentration en oxygène dissous d’un captage.
© Simon Figura/Eawag