Détail

Eau potable : assurer la propreté des rivières à titre préventif

9 septembre 2014 | Andri Bryner

Par leur qualité et leur abondance, les ressources en eau potable de la Suisse sont un capital des plus précieux. 80% de l’eau potable du pays provient de nappes d’eau souterraine dont un tiers sont alimentées par des infiltrations venues des cours d’eau. Ces ressources souterraines sont protégées des contaminations chimiques et bactériologiques de la surface par l’action filtrante du sol. Mais cette barrière n’est pas infranchissable et il est donc primordial de veiller à la qualité de l’eau des rivières et d’observer avec attention les échanges entre écoulements superficiels et souterrains.

Près de 300 personnes - scientifiques, institutionnels, politiques et professionnels de la gestion des eaux - se sont réunies ce mardi 9 septembre à l’occasion de la journée annuelle d’info de l’Eawag (en collaboration avec la Société Suisse de l'Industrie du Gaz et des Eaux, SSIGE) pour s’informer et échanger sur les derniers résultats de la recherche sur la question « Eau potable et filtration sur berge : un couple en péril ? ».

La politique suisse de protection des eaux est exemplaire

« La Suisse dispose de tous les atouts pour assurer une gestion durable de ses ressources en eau », a constaté la directrice de l’Eawag, Janet Hering, dans son intervention. Elle cite notamment les compétences techniques, les ressources financières et la stabilité des structures politiques et souligne que, suite à sa décision de revitaliser les cours d’eau et d’améliorer l’élimination des micropolluants dans les stations d’épuration, la Suisse a pris une position de leader mondial dans le domaine de la protection des eaux. La directrice se dit particulièrement fière du rôle joué par l’expertise de l’Eawag dans cette évolution positive. Elle invoque cependant aussi à la prudence et souligne qu’en maints endroits, la bonne qualité de l’eau souterraine est exclusivement due à l’action filtrante du sol et que cette barrière n’est pas infranchissable, que la protection naturelle n’est pas infaillible et qu’une fois qu’elle s’est produite, la contamination d’un aquifère est quasiment irréversible.

L’influence des activités anthropiques est mesurable partout

En Suisse, 80% de l’eau du robinet est d’origine souterraine et un tiers de cette eau souterraine provient de l’infiltration de l’eau des rivières. Ce processus dit de filtration sur berge joue un rôle croissant dans l’alimentation en eau potable du pays. Il est donc important de connaître l’évolution de la qualité de l’eau dans les systèmes fluviaux. De nouvelles études de l’Eawag montrent que l’influence des activités humaines peut être observée dans tous les cours d’eau. Entre 100 et 160 micropolluants organiques différents peuvent être détectés en aval des stations d‘épuration - des médicaments et additifs alimentaires pour la plupart (cf. graphique). Si l’on fait la somme des concentrations de toutes ces substances, une teneur de 70 à 80 microgrammes par litre peut être atteinte. Mais même des concentrations très faibles peuvent correspondre à des quantités considérables : à Bâle, le Rhin transporte ainsi chaque année près de 42 tonnes d’acésulfame, un édulcorant de synthèse, et de 13 tonnes de metformine, un antidiabétique, vers la mer du Nord.

L’utilisation du sol a plus d’effet que le changement climatique

Le réchauffement climatique a également un impact sur l’eau. Des études réalisées pendant la canicule de 2003 ont ainsi montré que la hausse des températures dans les aquifères avait localement provoqué une disparition de l’oxygène dissous, ce qui avait conduit à une formation gênante de précipités de fer et de manganèse au niveau de certains captages. Si de telles canicules se multipliaient, les producteurs d’eau potable auraient à faire face à des coûts très importants puisqu’ils ne pourraient plus distribuer l’eau captée sans traitement préalable. En l’absence de mesures correctrices, l’augmentation des précipitations en hiver, telle qu’elle a été prévue par les modèles climatiques, pourrait de son côté intensifier le lessivage des nitrates et l’érosion des sols agricoles. Malgré ces prévisions, les experts pensent cependant unanimement que les contraintes directement exercées dans le bassin d’alimentation d’un captage, c’est-à-dire l’utilisation du sol sur ce territoire, ont un impact plus important que les dérèglements climatiques sur la qualité de l’eau.

Des composés indésirables mais toxicologiquement peu préoccupants

Lorsque l’eau souterraine est captée à proximité d’un cours d’eau, il est légitime de s’interroger sur les capacités du sol à retenir ou à éliminer les polluants éventuellement présents dans l’eau de surface. Dans un projet réalisé sur la Thur, des chercheurs de l’Eawag ont détecté une centaine de composés dans l’eau superficielle et souterraine. Les concentrations étaient en général plus faibles dans la nappe : divers médicaments sont totalement éliminés lors de leur passage dans le sol, souvent dès les premiers mètres. Rapide en été, la dégradation se ralentit cependant en hiver ou cesse totalement lorsque la température de l’eau est trop basse. Les concentrations de l’ordre du nanogramme par litre (un milliardième de gramme) auxquelles certains composés difficilement biodégradables comme les produits de contraste radiologique sont retrouvés dans l’eau captée ne sont pas aujourd’hui considérées comme dangereuses pour la santé. « De façon générale, les substances synthétiques persistantes n’ont rien à faire dans les milieux aquatiques et encore moins dans l’eau destinée à la consommation humaine », a remarqué Juliane Hollender. La chimiste de l’environnement a cependant précisé que les teneurs mesurées jusqu’à présent étaient très inférieures à celles habituellement observées dans les denrées alimentaires et aux seuils fixés par la loi.

Mieux vaut prévenir que guérir

D’après Urs von Gunten, le responsable du centre de compétence « Eau potable » de l’Eawag, le système « Rivière-Nappe-Eau potable » profite de la politique résolument préventive mise en place en Suisse dans le domaine de la protection des eaux. Son objectif est de lutter efficacement contre la pollution des ressources aquatiques sans attendre qu’une menace pour la santé humaine ait été constatée. Le chercheur a insisté sur l’importance, dans cette optique, de bien observer et de bien comprendre les processus qui se déroulent – dans le cas de la revitalisation d’une rivière par exemple. D’après lui, un traitement de l’eau captée ou un déplacement des captages menacés ne devraient pas être fondamentalement exclus en cas de risque. Pour Janet Hering, « il n’est pas toujours possible d‘obtenir de situation gagnant-gagnant ». Il convient alors d’arbitrer entre des intérêts parfois divergents et l’Eawag élabore des bases scientifiques de décision de façon à favoriser la transparence des processus décisionnels.

Photos / téléchargement

Utilisation gratuite uniquement en rapport avec la journée d’info. Archivage interdit. Source à citer: Eawag.

Les crues et étiages et l’élargissement du lit des rivières corrigées influent sur les processus d’infiltration et d’exfiltration qui se déroulent entre les cours d’eau et les nappes phréatiques. Sur ces deux photos, la Thur.

Installation d’un piézomètre pour l’observation de l’eau souterraine sur un tronçon revitalisé de la Thur à l’aide de l’engin de forage « Geoprobe »

Les averses survenant pendant la période d’application des pesticides peuvent provoquer leur entraînement dans les cours d’eau

Concentration moyenne (à gauche) et nombre de substances (à droite) déterminés pour différents groupes de micropolluants organiques en sortie de huit stations d’épuration suisses (données non publiées tirées d’une étude de screening des eaux usées réalisée par l’Eawag et financée par l’Office fédéral de l’environnement)