Détail

Le pompage à outrance favorise la migration de l’arsenic vers les nappes non contaminées

11 septembre 2013 | Andri Bryner

Un grave problème menace les quelque 6,5 millions d’habitants de Hanoï : suite aux prélèvements croissants effectués par la capitale vietnamienne dans les nappes profondes jugées non contaminées, de l’eau chargée en arsenic provenant d’aquifères plus superficiels se rapproche inexorablement des captages. La réalité de ce phénomène dont on craignait déjà l’existence vient d’être démontrée par une équipe internationale incluant l’Eawag dans une étude publiée aujourd’hui dans la revue Nature. 

 Des recherches effectuées dans la région de Hanoï par des laboratoires étatsuniens, suisses et vietnamiens montrent que la santé de millions de personnes est menacée à long terme par les effets indirects du pompage excessif d’eau souterraine pratiqué par la capitale vietnamienne. Comme le précise Prof. Alexander van Geen de la Columbia University, le premier auteur de l’étude, les travaux publiés aujourd’hui dans la revue Nature montrent pour la première fois que des aquifères non contaminés peuvent se recharger en eau riche en arsenic provenant d’autres nappes. Le processus est apparemment lent mais il semble également inexorable.

Comme beaucoup de métropoles, Hanoï croît très rapidement. Entre 2000 et 2010, les services d’approvisionnement en eau de la ville ont dû doubler leurs prélèvements d’eau souterraine pour atteindre les 900 millions de litres qu’elle consomme quotidiennement. L’eau alimentant le cœur de la ville est traitée et une grande partie de l’arsenic qu’elle peut contenir est éliminé. Mais seuls les habitants raccordés au réseau de distribution peuvent profiter de ce service. Il en va souvent autrement dans les quartiers périphériques. Le long du fleuve Rouge, par exemple, l’eau souterraine est prélevée dans d’in nombrables puits et consommée sans aucun traitement. Jusqu’à présent, le niveau élevé de l’eau dans les nappes phréatiques non contaminées a permis d’alimenter ces puits avec une eau non chargée en arsenic. Mais les prélèvements croissants de la ville de Hanoï ont modifié la donne : les aquifères « sûrs » reçoivent maintenant de plus en plus d’infiltrations d’eau arséniée provenant de nappes contaminées ou directement du fleuve.

« Nous assistons à une expérience involontaire à très grande échelle, commente Michael Berg, géochimiste de l’Eawag. Nous sommes en train de chambouler les systèmes naturels un peu partout dans le monde. » Car il est certain d’une chose : des phénomènes similaires se produisent actuellement à d’autres endroits, aux abords des mégalopoles de Dhaka au Bangladesh ou de Pékin en Chine, par exemple, même s’ils ne sont pas toujours en rapport avec l’arsenic. Le fonctionnement des réseaux de nappes souterraines peut également être profondément modifié dans les régions pratiquant des prélèvements très importants pour l’irrigation, comme dans le Sahel africain ou les zones arides d’Amérique du Nord.

Dans les zones étudiées aux alentours de Hanoï, la teneur en arsenic des eaux souterraines est déjà de 10 à 50 fois supérieure au seuil de 10 µg/l recommandé par l’OMS. A d’autres endroits, la contamination d’origine géologique n’a pas encore atteint les nappes exploitées : d’après le professeur Rolf Kipfer de l’Eawag qui a déterminé l’âge des eaux souterraines par datation isotopique à l’hélium et à l’hydrogène, l’arsenic progresse dans ce milieu à une vitesse beaucoup inférieure à celle de l’eau elle-même. Alors que les eaux souterraines contaminées ont parcouru plus de 2 km vers le centre-ville au cours des 40 à 60 dernières années, la ligne de concentration critique en arsenic n’a progressé que de 120 mètres. Là où la qualité de l’eau est encore satisfaisante, les autorités ont donc encore au moins le temps d’envisager des solutions – réduire les prélèvements ou mettre en place des traitements adéquats, par exemple. « Toutefois, l’arsenic gagne inexorablement du terrain. Et plus la contamination progresse, plus elle touche de personnes », avertit Michael Berg.

L'arsenic
A l’échelle de la planète, l’arsenic est l’un des principaux contaminants inorganiques de l’eau potable. Ce métalloïde est naturellement présent dans les sédiments du sous-sol et se dissout dans l’eau souterraine suite à l’altération des roches. Les sels d’arsenic n’affectent ni l’odeur ni le goût de l’eau mais sont extrêmement toxiques pour l’homme. Même à faible dose, leur ingestion prolongée peut avoir de graves conséquences sur la santé, provoquant, notamment, des anomalies de pigmentation de la peau, une hyperkératose de la paume des mains et de la plante des pieds, des troubles cardiovasculaires, rénaux et hépatiques et différentes types de cancer.
La gestion du problème est rendue difficile par la forte fluctuation géographique des teneurs en arsenic. Par ailleurs, les risques sont encore ignorés dans de très nombreuses régions où les puits et les eaux souterraines n’ont jamais été testés. Les concentrations en arsenic sont jugées préoccupantes par les épidémiologistes au-delà de 10 µg/l. Cette valeur limite a donc été retenue par l’OMS pour l’eau potable.

Article original:

Alexander van Geen, Benjamín C. Bostick, Pham Thi Kim Trang, Vi Mai Lan, Nguyen-Ngoc Mai, Phu Dao Manh, Pham Hung Viet, Kathleen Radloff, Zahid Aziz, Jacob L. Mey, Mason O. Stahl, Charles F. Harvey, Peter Oates, Beth Weinman, Caroline Stengel, Felix Frei, Rolf Kipfer, Michael Berg. Delayed contamination of an aquifer with high-arsenic groundwater drawn by municipal pumping in Vietnam. Nature 501(7466). doi:10.1038/nature12444.

Photos à télécharger

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Le premier auteur de l’étude, Prof. Alexander van Geen, analyse des exemples de sédiments dans un quartier périphérique de Hanoi.
(© Eawag)

Chercheurs vietnamiens et suisses préparent des échantillons de l’eau dans les quartiers périphériques de Hanoi.
(© Eawag)

Prélèvements d’eau et de sédiments par des chercheurs vietnamiens et suisses dans les quartiers périphériques de Hanoi.
(© Eawag)

Pompes à eau typiquement utilisées au Viêt Nam.
(© Eawag)

Un paysan irrigue son champ près de Van Phuc – env. 10km du centre de Hanoi.
(© Benjamin Bostick, Columbia University)