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«LéXPLORE réunit les chercheurs de différentes disciplines – c’est formidable»

26 août 2021 | Isabel Plana

Depuis 2019, un laboratoire appelé LéXPLORE flotte sur le lac Léman. Natacha Tofield-Pasche, limnologue à l’EPFL et cheffe de projet du LéXPLORE, et Damien Bouffard, chercheur à l’Eawag et membre du comité de pilotage du LéXPLORE expliquent sur quoi portent les recherches et pourquoi cette plateforme de recherche est unique.

LéXPLORE fonctionne depuis deux ans et demi. Sur quoi ont porté ou vont porter les recherches sur cette plateforme?

Natacha Tofield-Pasche: Nous avons 30 projets en cours. Certains examinent à la loupe des processus physiologiques, d’autres la chimie ou l’écologie du lac. Les recherches sont très diversifiées: une équipe étudie la pollution par le microplastique, une autre la présence de la moule quagga, une espèce invasive. Cinq projets sont consacrés au développement de nouvelles technologies. Un groupe de l’EPFL est notamment en train de développer un appareil qui pourra extraire de l’eau et séquencer l’ADN – par exemple de bactéries.

Participez-vous aussi à l'un de ces projets de recherche?

Tofield-Pasche: Oui, j’ai coopéré à un projet récemment achevé qui a étudié la production primaire, la production de biomasse du lac.

Damien Bouffard: Je travaille actuellement à plusieurs projets. Pour l’un, nous étudions l’effet des vagues de surface provoquées par le vent sur l’échange de CO2 entre l’air et l’eau. Pour un autre, nous comparons la température de surface transmise par satellite et la température de l’eau que nous mesurons quelques centimètres sous la surface du lac.

Tofield-Pasche: Et tu étais en plus responsable du développement de la plateforme Open Science.

Bouffard: Oui c’est vrai, c’était aussi une sorte de projet. La plateforme Open Science fait à présent partie intégrante de LéXPLORE. Notre réflexion était basée sur la volonté de mettre à disposition de la communauté de chercheurs, mais aussi du public, une série de données de mesures de LéXPLORE sur une plateforme web attrayante et facile à utiliser. Par exemple la température du lac à différentes profondeurs, la courbe d’oxygène de l’eau ou diverses mesures météorologiques comme la vitesse du vent. Ces données fournissent de précieuses informations pour des thématiques spécifiques et encouragent les études interdisciplinaires. L’objectif est qu’à plus long terme, la plateforme de données soit enrichie avec les jeux de données des projets de recherche en cours.
 

Natacha Tofield-Pasche, limnologue à l’EPFL et cheffe de projet du LéXPLORE, et Damien Bouffard, chercheur à l’Eawag et membre du comité de pilotage du LéXPLORE.

Quels sont les avantages de ce laboratoire flottant par rapport aux mesures faites d’ordinaire depuis un bateau?

Bouffard: Normalement, on prélève des échantillons d’eau et on est ensuite soumis à un certain stress. Les échantillons doivent en effet arriver au laboratoire le plus rapidement possible afin que les processus biologiques ou chimiques que l’on veut étudier soient le moins perturbés possible. C’est un problème que nous n’avons pas ici: nous pouvons analyser et évaluer les échantillons directement sur place sur LéXPLORE.

Tofield-Pasche: Par ailleurs, la plateforme nous permet de procéder à des mesures en continu. Les appareils de mesure enregistrent 24/24h quelles que soient les conditions météo. Nous pouvons ainsi étudier par exemple la modification des paramètres pendant le cycle jour-nuit. Ou les processus en action pendant une tempête.

Il existe d’autres stations de recherche flottantes sur d’autres lacs. En quoi LéXPLORE est-elle unique?

Bouffard: Tout d’abord par la taille du lac. De nombreuses plateformes sont installées sur des lacs plus petits. Avec LéXPLORE nous pouvons étudier les processus d’un grand lac avec une forte houle et des eaux profondes qui se situe en plus dans une région densément peuplée.

Tofield-Pasche: La taille et l’infrastructure de la plateforme sont une autre différence. D’autres plateformes sont généralement beaucoup plus petites ou constituées simplement de plusieurs bouées équipées d’appareils de mesure. LéXPLORE est en revanche un véritable laboratoire dans lequel 16 personnes peuvent travailler simultanément et elle est équipée de plusieurs instruments de haute technologie.

Bouffard: De plus, nous pouvons comparer divers processus entre eux car un nombre considérable de mesures sont réalisées en même temps sur LéXPLORE.

Par exemple?

Bouffard: L’émetteur ultrasonique enregistre le passage de poissons à proximité de la plateforme. La présence de ces poissons peut ensuite être comparée à la température de l’eau mesurée à ce moment précis. Ce type de combinaison de plusieurs observations nous ouvre de toutes nouvelles opportunités pour mieux comprendre les lacs. C’est ainsi que LéXPLORE favorise des projets beaucoup plus complexes et rassemble les chercheurs de différentes disciplines – c’est tout simplement formidable et je trouve cela très motivant. C’est cet aspect communautaire et collaboratif qui fait la spécificité de LéXPLORE.

Quels ont été vos plus grands défis jusqu’à présent?

Tofield-Pasche: Pouvoir tout d’abord monter le projet et réaliser LéXPLORE. Six ans se sont écoulés depuis les premières discussions jusqu’à ce que la plateforme soit posée sur l’eau. Des voix se sont régulièrement élevées pour nous dire «oubliez ce projet, ça ne marchera pas». Au début, la population et le club de voile de la communauté de riverains de Pully voyaient le projet d’un œil critique. Faire face à ces résistances sans se décourager était sans aucun doute un vrai défi.

Bouffard: Je pense que c’est surtout à Johny Wüest que revient tout le mérite. Il était jusqu’à récemment membre de la direction de l’Eawag et il est professeur à l’EPFL. LéXPLORE était son idée – même s’il ne revendiquerait jamais les lauriers pour lui seul. Il a initié le projet et l’a mené à bien avec détermination.

Tofield-Pasche: Absolument! Johny Wüest a été la force motrice du projet LéXPLORE. Il a recruté les bonnes personnes, est toujours resté optimiste et a entretenu notre motivation. Je suis heureuse que la plateforme ait pu être mise en service avant son départ à la retraite en août.
 

Et à quelles difficultés techniques avez-vous dû faire face?

Tofield-Pasche: L’installation des instruments de mesure s’est avérée compliquée. Et cela le reste car de nouveaux instruments viennent s’ajouter avec chaque nouveau projet. Nos techniciens font un super travail, ils trouvent toujours de nouvelles et meilleures solutions.

Bouffard: Il arrive aussi souvent que les instruments tombent en panne. Après une tempête par exemple. Mais jusqu’à présent, la plateforme a bien résisté aux intempéries, et même à la foudre.

Tofield-Pasche: La météo est aussi un facteur critique pour l’alimentation électrique. À cause d’un brouillard persistant, les panneaux solaires n’ont pas fourni assez d’électricité l’hiver dernier et à un moment donné la batterie était à plat. Mais comme prévu, le générateur a pris le relai et assuré l’alimentation électrique.

Vous évoquiez la résistance de la population. Qu’en est-il aujourd'hui? Accepte-t-elle mieux le projet?

Tofield-Pasche: Oui, beaucoup de gens ont aujourd'hui remarqué que la plateforme ne perturbe pas l’environnement et ne gêne pas la navigation. De nombreuses personnes s’approchent même en bateau de la plateforme pour l’observer.

Bouffard: Nous avons appris de cette expérience qu’il faut impliquer les gens plus tôt, mieux leur expliquer le sens de notre projet et pourquoi ce que nous faisons est important et utile pour le grand public. Justement sur un lac aussi fréquenté que le lac Léman, les résultats sur la qualité de l’eau par exemple servent l'intérêt général.

Tofield-Pasche: En fait nous avions prévu d’organiser une visite publique pendant l’été 2019. Mais nous avons été obligés d’annuler à cause du mauvais temps. Et en 2020 il y a eu le covid. Nous espérons pouvoir proposer cette visite deux fois par an à partir de 2022.

LéXPLORE a-t-elle répondu à vos attentes durant ces deux ans et demi?

Tofield-Pasche: Tout à fait. Je suis surprise du nombre de projets en cours. Et ce malgré la présence sur la plateforme d’équipes de chercheurs de Suisse et de France seulement à cause de la pandémie de covid. Nous espérons que des collaborations internationales seront bientôt possibles.

Bouffard: LéXPLORE a dépassé mes attentes. J’apprécie la collaboration et les échanges avec les chercheurs de plusieurs disciplines. C’est ainsi que naissent de nouvelles idées.

Il est prévu que LéXPLORE soit en service jusqu’à 2026. Y a-t-il une chance que la plateforme soit utilisée plus longtemps?

Tofield-Pasche: Non, je ne pense pas. Nous savons aujourd’hui que la plateforme devra être démontée en 2026 parce que l’autorisation d'utilisation pour ce secteur du lac arrive à échéance à cette date.

Bouffard: Nous nous sommes faits dès le début à l’idée que la plateforme ne serait pas permanente. C’est parfois très stimulant d’avoir une deadline. Nous sommes d’autant plus motivés pour en tirer le maximum de profit.
 

LéXPLORE est un projet conduit en commun par l’institut de recherche de l’eau Eawag, l’EPFL, les universités de Genève et Lausanne ainsi que le centre de recherche français CARRTEL. Le laboratoire flottant sur le lac Léman mesure 100 mètres carrés. Divers phénomènes sont étudiés dans le lac autour de la plateforme sur une surface de 15'000 mètres carrés et jusqu’à 110 mètres de profondeur.

Photo de couverture: Natacha Tofield-Pasche, EPFL

Financement

  • Eawag
  • École Polytechnique Fédérale de Lausanne EPFL
  • Fonds national suisse (FNS)
  • Office fédéral de l’environnement (OFEV)
  • Université de Savoie Mont Blanc, INRAE, CARRTEL
  • Université de Genève
  • Université de Lausanne