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Quand les polluants persistent à agir

4 février 2020 | Ori Schipper, Andri Bryner

L'hexachlorobenzène est interdit d'utilisation depuis 2004. Toutefois, ce fongicide est chimiquement stable et s'accumule dans les régions polaires où les baleines à bosse, notamment, reconstituent leurs réserves de graisses. Des essais menés à l'Eawag avec une lignée cellulaire de baleine à bosse montrent maintenant que l'hexachlorobenzène n'est pas d'une toxicité aiguë mais qu'il peut endommager le patrimoine génétique des cellules.

L'hexachlorobenzène (HCB) – principalement utilisé comme fongicide – fait partie des «douze vilains», c'est-à-dire des douze premières substances à avoir été interdites dans le monde en 2004 par la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Étant donné son extrême stabilité, cette molécule est très lentement dégradée dans la nature. «De ce fait, l'HCB est encore présent dans l'environnement», explique Michael Burkhard, post-doctorant au département de Toxicologie de l'environnement de l'Eawag.

Effet sauterelle à l'échelle planétaire

L'HCB n'est pas uniquement persistant, mais également volatil sous certaines conditions. Il s'évapore ainsi dans l'atmosphère au-dessus des zones tropicales et tempérées puis revient au sol à la faveur de la pluie ou de la neige. «C'est le fameux effet sauterelle, qui permet à l'HCB de migrer lentement vers les pôles. Une fois qu'il y est parvenu, le froid l'empêche de repartir et il s'accumule, explique Burkhard. Les régions polaires sont donc des puits naturels d'HCB.»

Or c'est exactement là, dans les océans de l'Arctique et de l'Antarctique, que se trouvent les quartiers d'été des baleines à bosse. Pendant les quelque trois mois qu'ils y passent, ces cétacés de 30 tonnes et de 15 mètres de long reconstituent leurs réserves de graisse dont ils se nourriront le reste de l'année – notamment pendant leur aller-retour de plusieurs milliers de kilomètres vers leurs quartiers d'hiver dans les tropiques. «Lorsque ces réserves de graisse sont mobilisées, les substances liposolubles comme l'HCB sont libérées, indique Burkhard. Divers contaminants s'accumulent dans les baleines affamées: en moyenne, les concentrations atteintes dans le corps des cétacés à la fin de leur séjour estival sont de deux à trois fois supérieures à celles mesurées à leur arrivée dans les quartiers d'été.»

Des échantillons sont prélevés sur l'épiderme des baleines en utilisant un fusil à air comprimé particulier.
(Photo: Michael Burkard)

Un composé difficile

On ne sait pas exactement si l'HCB est nocif pour les baleines et, si oui, de quelle manière il agit. Pour apporter un peu de lumière sur la question, des essais ont été menés par Burkhard et ses collègues de l'Eawag sur une lignée cellulaire de baleine à bosse. Cette équipe utilise des cellules multipliées en laboratoire pour réaliser ses tests de toxicité, ce qui lui permet d'éviter l'expérimentation animale (qui s'avèrerait de toute façon extrêmement problématique avec des baleines). Pour leurs essais, les toxicologues ont mis au point un système qui permet d'exposer les cellules à une concentration constante d'HCB. Cela est en effet plus difficile qu'il n'y paraît. Car, comme le précise Burkhard, «l'HCB est un composé difficile». Beaucoup d'études ont en partie échoué parce qu'il s'évapore ou se lie au plastique du matériel de laboratoire ou à certaines composantes du milieu d'exposition.

Les résultats de la nouvelle étude montrent maintenant qu'aux concentrations rencontrées dans l'environnement (de 1 à 10 microgrammes par litre), l'HCB ne présente pas de toxicité aiguë pour les cellules de baleine à bosse. En cela, les auteures et auteurs sont en accord avec la littérature scientifique sur le sujet. Mais ils ont également eu la surprise de constater un effet génotoxique. Même si les essais sur lignée cellulaire ne permettent pas de prévoir directement les effets in vivo, Burkhard estime que son équipe a «en tout cas montré que l'HCB pouvait causer des dommages génétiques dans les cellules de baleine». Et comme l'HCB présente une demi-vie de quelques années à quelques décennies et qu'il disparaît donc très lentement de l'environnement, les baleines à bosse seront encore exposées pendant longtemps à ce contaminant bien que son utilisation soit interdite dans le monde depuis plus de 15 ans.

Article original

Maner J., Burkard M., Cassano JC., Bengtson Nash SM., Schirmer K. and Suter MJF: Hexachlorobenzene exerts genotoxic effects in a humpback whale cell line under stable exposure conditions. RSC Adv. (2019). DOI: 10.1039/C9RA05352B