Détail

Trop de produits phytosanitaires dans les petits ruisseaux

2 avril 2019 | Andri Bryner

Deux études de l'Eawag et du Centre Ecotox montrent de nouveau que les ruisseaux aux bassins versants très agricoles sont fortement pollués par les produits phytosanitaires. Au vu des concentrations mesurées, les animaux et végétaux aquatiques y sont exposés à un risque d'effets chroniques pendant des mois et à un risque d'effets aigus pendant certaines périodes. La plupart des échantillons d'eau renfermaient plus d'une trentaine de substances actives différentes. Le danger émanant de ces mélanges de composés a été confirmé par des bioessais et par une étude de la diversité des espèces dans les ruisseaux.

L'Eawag et le Centre Ecotox ont prélevé des échantillons en continu de mars à octobre 2017 dans cinq petits cours d'eau dont les bassins étaient occupés par différentes formes d'agriculture et en ont mesuré les teneurs en produits phytosanitaires. Ils ont été assistés en cela par cinq cantons et par la plateforme Qualité de l'eau du VSA (Association des professionnels de la protection des eaux). L'étude a été réalisée sur mandant de l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) dans le cadre de l'observation nationale de la qualité des eaux de surface (NAWA). Les résultats paraissent aujourd'hui sous la forme de deux articles dans la revue Aqua & Gas.

Les mélanges de substances à l'origine d'un risque persistant

Au total, 145 substances actives ont été détectées à raison de 71 à 89 par site. Des dépassements des critères de qualité environnementale, déterminés à travers des tests pour chaque substance, ont été observés dans les cinq ruisseaux. Un risque d'effets chroniques, c'est-à-dire lents mais non moins réels, a été identifié pour les organismes aquatiques pendant une durée allant, suivant les sites, de trois mois et demi à six mois et demi, soit la durée totale de l'étude. Pendant 14 à 74 jours, le risque était si élevé que des effets aigus sur les communautés biotiques ne pouvaient être exclus. Cette situation est due non seulement à la présence de certains polluants particulièrement problématiques mais aussi au mélange d'herbicides, de fongicides, d'insecticides et d'autres produits. Dans l'Eschelisbach (TG), le risque calculé pour un tel mélange était ainsi 36 fois supérieur au seuil à partir duquel des effets sur la reproduction, le développement et la santé des végétaux, des animaux et des micro-organismes sont susceptibles de se produire. Ce rapport était même de 50 dans le Weierbach (BL). Ce risque a également été observé pour les végétaux par un biotest effectué sur des algues et l'étude des invertébrés a révélé que les espèces sensibles avaient disparu des sites pollués.

Risque de dommages chroniques aux petits animaux invertébrés (par ex. écrevisses) par les mélanges de pesticides à Eschelibach/TG de mars à octobre 2017 ; un chiffre de risque de 1 signifie que les concentrations mesurées dans le courant sont aussi élevées que les critères de qualité environnementale. Jusqu'à deux fois la concentration (risque numéro 2), on assume toujours un risque faible, jusqu'à 10 fois un risque élevé et plus de 10 fois un risque très élevé. >> Ce graphique est également disponible sous forme de fichier mp4 animé.

Le seuil unique de l'ordonnance manque de pertinence

Le seuil unique de 0,1 µg/l actuellement en vigueur pour les pesticides organiques selon l'ordonnance sur la protection des eaux a été dépassé une ou plusieurs fois pour 66 substances, dont le glyphosate et le mécoprop. Or, dans le cas de ces deux herbicides courants, justement, le seuil unique ne reflète pas correctement le risque pour les organismes aquatiques car il ne tient pas compte des aspects écotoxicologiques. Ainsi, le glyphosate n'est susceptible d'avoir des effets dans les ruisseaux qu'à partir d'une concentration de 120 µg/l alors que 0,16 µg/l ont été mesurés en moyenne dans les échantillons de la présente étude. À l'inverse, 18 substances dangereuses à très faible concentration ne respectent pas leur critère de qualité environnementale, qui est nettement inférieur au seuil de 0,1 µg/l. Et ce, alors que certains insecticides toxiques pour le système nerveux, dont le dosage n'est possible que depuis peu, ne sont pas encore pris en compte. Pour ces substances actives, le seuil unique de l'ordonnance assure une protection insuffisante des organismes aquatiques.

Des substances différentes selon les années

Deux des cinq ruisseaux étudiés en 2017 (l'Eschelisbach/TG et le Weierbach/BL) l'avaient déjà été en 2015. Une comparaison des deux études révèle de grandes différences au niveau du spectre de substances détectées. En 2017, le Weierbach présente ainsi 21 composés problématiques pour la vie aquatique, dont 4 seulement étaient déjà présents à de trop fortes concentrations en 2015. Ces différences peuvent être dues à la météo et à la localisation des surfaces agricoles correspondantes par rapport au cours d'eau. Alors que la charge totale en polluants était légèrement plus élevée en 2017 qu'en 2015 dans l'Eschelisbach, elle avait baissé dans le Weierbach.

La diversité de substances employées et la variabilité temporelle de la pollution mettent deux aspects en évidence. Premièrement, la surveillance de la qualité de l'eau doit porter sur un large éventail de polluants – Christian Stamm, spécialiste de pédo-hydrologie à l'Eawag, estime ainsi qu'actuellement, le dosage d'une bonne cinquantaine de produits phytosanitaires pourrait expliquer 75 % du risque. Ensuite, la pollution ne pourra être réduite que moyennant toute une série de mesures : « Il faut par exemple substituer les substances particulièrement critiques, réduire les quantités appliquées et minimiser le lessivage à partir des sols – autant de mesures prévues par le Plan d'action national sur les produits phytosanitaires et qu'il est urgent de mettre en œuvre », souligne Stamm.

Une étude représentative pour de nombreux ruisseaux suisses

La présence d'un grand nombre de pesticides dans les cours d'eau suisses – principalement des produits phytosanitaires émis par l'agriculture – n'est plus un secret pour personne depuis les études de 2012 et de 2015. Toutefois, leurs résultats ont également été mis en doute, d'aucuns estimant que les cours d'eau choisis n'étaient pas représentatifs et qu'une part non déterminée des substances incriminées pouvait provenir d'activités non-agricoles. Pour la campagne 2017, les chercheuses et chercheurs ont donc pris soin de montrer que les ruisseaux étudiés ne recevaient quasiment pas d'eaux usées urbaines et que, même si leurs bassins versants étaient occupés par une agriculture intensive, ils n'avaient rien d'exceptionnel. « Dans quatre des cinq ruisseaux, même une agriculture dix fois plus extensive induirait encore des dépassements des critères de qualité environnementale, indique Stamm. Et 13'000 km de ruisseaux suisses seraient concernés. »

Articles originaux parus dans Aqua & Gas 4/2019 

Pollution élevée des ruisseaux par les produits phytosanitaires
Etudes écotoxicologiques: Risque de pestizides confirmé

Accès à toutes les données : https://doi.org/10.25678/0000GG

Observation nationale de la qualité des eaux de surface

En mettant en place le programme d'observation nationale de la qualité des eaux de surface (NAWA), la Confédération et les cantons ont créé, avec d'autres institutions, les bases nécessaires à l'appréciation de l'état des milieux aquatiques à l'échelle nationale.  La recherche des pesticides effectuée pour la troisième fois après les campagnes de 2012 et 2015 vient compléter les analyses de routine réalisées sur le réseau de base constitué de 100 stations de mesure. Les résultats de 2017 enregistrent le mauvais état actuel et servent à améliorer le réseau d'observation pour pouvoir suivre les évolutions futures, et notamment les effets des mesures du plan d'action sur les produits phytosanitaires qui vient d'être lancé.

Graphiques et photos des prélèvements