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De la transparence dans les phénomènes du sous-sol

8 février 2018 | Andri Bryner

Si vous voyez une personne portant un vêtement de protection orange vif sortir d’une bouche d’égout avec un ordinateur portable, il pourrait bien s’agir d’un collaborateur ou d’une collaboratrice de l’Institut de recherche de l’eau Eawag. Surtout dans la commune zurichoise de Fehraltorf. En effet, l’Eawag y installe depuis 2016 un réseau unique au monde de capteurs destinés à documenter le cycle de l’eau en milieu urbain. 

L’infrastructure de l’eau est l’un des plus grands ouvrages de la Suisse. Les canalisations et le réseau d’eau potable englobent plus de 100 000 km de conduites d‘eau ; si on y ajoute les tronçons privés, on n’est pas loin de doubler la longueur des tuyaux et canalisations, sans oublier les quelque 800 stations d’épuration et les 2'500 adductions d’eau avec captages, réservoirs et autres. Rien que pour l’infrastructure d’assainissement, la valeur de remplacement est d’environ 120 milliards de francs.

Or, ces structures sont dissimulées en majeure partie dans le sous-sol. Que la canalisation en plein orage atteigne les limites de ses capacités, qu’une grande quantité d’eau propre soit inutilement acheminée vers la station d’épuration ou que la pluie emporte des substances problématiques qui se trouvaient sur les toits et les routes – tout se passe sans qu’on s’en rende compte. Le système est peut-être élaboré, mais les temps changent, à Fehraltorf aussi : de plus en plus de surfaces ont été terrassées, le changement climatique est à l’origine de nouveaux modèles de précipitations, les connaissances sur les micropolluants montrent clairement l’importance que revêt la protection des eaux.

Fehraltorf est un OHU

A Fehraltorf, la gestion des eaux urbaines a été étudiée en détail. L’institut de recherche de l’eau Eawag a commencé à s’y intéresser de près il y a 25 ans déjà. Depuis février 2016, un nouveau projet de grande envergure est en cours : tout Fehraltorf est devenu un OHU de l’Eawag. L’abréviation signifie « Observatoire de l’hydrologie urbaine » : il s’agit d’un « laboratoire de terrain » servant à observer le cycle de l’eau en milieu urbain. Des capteurs placés dans les canalisations, les bouches d’égout, les ruisseaux, la nappe phréatique et à d’autres endroits enregistrent entre autres le volume des précipitations, le niveau des eaux et les débits. Plus de 60 capteurs sont déjà installés. La technique numérique sans fil permet - même à des endroits difficilement accessibles – d’effectuer des mesures à haute résolution temporelle. Toutes les cinq minutes, une grande partie des capteurs envoie par signal codé les valeurs relevées à une unité de base grâce à une liaison sans fil à faible consommation énergétique (LPWAN für Low Power Wide Area Network). Ces données peuvent être consultées par Internet à partir de l’ordinateur central.

Ainsi, les chercheurs n’ont plus guère besoin de ramper dans les canalisations. Les piles des capteurs ont une longévité de plusieurs années grâce à une technologie extrêmement efficace sur le plan énergétique et le rayonnement du LPWAN ne représente qu’une infime partie de celui du réseau de la téléphonie mobile. Pour la première fois, il est possible de suivre quasiment en temps réel les processus complexes dans le réseau d’eaux pluviales et d’eaux usées. Jusqu’ici, ils ne pouvaient que simuler a posteriori dans des modèles informatiques. Maintenant, le sous-sol devient transparent et les données en temps réel permettent de calibrer les modèles aussi pour d’autres sites.

Exploiter durablement l’infrastructure de l’eau

Le chef du projet OHU, Frank Blumensaat, est fasciné par les nouvelles possibilités qui s’offrent : « Lorsque les égouts ne pouvaient plus engloutir l’eau, provenant par exemple des nouveaux lotissements, on se contentait jusqu’ici de construire un peu partout de nouvelles canalisations ou bassins de rétention », commente l’ingénieur en environnement. « Compte tenu du fait que nous comprenons mieux les processus de précipitations et d’écoulement, il est possible d’optimiser les systèmes en place avant de devoir creuser et bétonner à des coûts élevés. Cette solution aide la commune à exploiter son infrastructure de l’eau de manière plus durable. »

Pour M. Blumensaat, le terme de « durable » s’applique aussi à la protection des eaux : aucun système de canalisation n’est conçu pour évacuer toute l’eau qui tombe par fortes précipitations ; à Fehraltorf, de l’eau sale finit aussi par déborder dans la Kempt. Grâce aux valeurs mesurées par les capteurs, on peut minimiser de telles phases. Les alertes aux inondations peuvent intervenir plus tôt et leur localisation peut être plus précise. En saisissant des indicateurs de qualité, il est possible en outre de développer des stratégies de prévention : les polluants doivent être stoppés ou interceptés avant de s’en aller à vau-l'eau, au sens propre du terme.

Des salles de classe qui s’inspirent de la vie réelle

Pour Stefan Mathys, Chef du service Constructions et ouvrages à Fehraltorf, le projet de recherche cofinancé par l’Eawag et l’EPF Zurich est une aubaine. La commune aurait du mal à se procurer les mêmes données d’une autre manière, à moins de payer cher. Et comme on sait déjà beaucoup mieux ce qui se passe vraiment dans les canalisations, Mathys espère aussi pouvoir faire des économies à l’avenir. De son côté, Frank Blumensaat estime que le laboratoire de terrain n’est pas seulement un site de recherche passionnant, mais aussi une « salle de classe qui s’inspire de la vie réelle » et qu’il utilise, en tant que maître de conférences à la chaire de l’EPF du Prof. Max Maurer, pour former les ingénieurs en environnement.

Il est plutôt surprenant d’entendre M. Blumensaat parler non seulement des opportunités de la numérisation, mais aussi de ses risques. Les données en ligne sur la consommation d’eau ou sur la qualité des eaux usées permettent de tirer des conclusions de plus en plus précises sur les habitudes des consommateurs. On se voit soudain confronté aux questions délicates de la protection des données, surtout lorsque les valeurs mesurées sont accessibles pour tout un chacun et que l’infrastructure radio est utilisée aussi à d’autres fins par la commune. Pour le projet de Fehraltorf, Blumensaat lève l’alerte : le réseau de capteurs n’est pas assez dense pour permettre d’y connecter des foyers individuels. En revanche, le secteur privé a déjà manifesté son intérêt pour les données. Un pépiniériste pourrait profiter des mesures des précipitations tout comme le terrain d’aviation de Speck pourrait bénéficier de mesures plus précises du niveau des eaux souterraines. 

Internet des objets
Les capteurs et le réseau sans fil basse consommation servant à la transmission des données à Fehraltorf peuvent être considérés comme faisant partie de « l’Internet des objets ». En installant des capteurs dans des objets ou des appareils, il est possible d’améliorer les processus de toutes sortes. En connaissant le niveau de remplissage des conteneurs à déchets, les communes peuvent par exemple optimiser leurs circuits de ramassage. À Fehraltorf, l’Eawag et la Haute école des sciences appliquées de Zurich travaillent sur une optimisation des réseaux, qui étaient jusqu’ici en étoile, grâce à une structure maillée. Ce modèle permet entre autres d’améliorer la transmission des données en provenance du sous-sol. 

Pluviomètre sur le terrain d’aviation de Speck
(Photo: Frank Blumensaat, Eawag)

Capteur de niveau dans la bouche d’égout avec transmission radio
(Photo: Frank Blumensaat, Eawag)