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Effets écotoxicologiques dus aux produits phytosanitaires dans les sédiments des petits cours d'eau

12 décembre 2019 | Anke Schäfer, Andri Bryner

Les produits phytosanitaires présents dans les sédiments des ruisseaux ont un impact sur les organismes qui y vivent. Un monitoring effectué par le Centre Ecotox et l’Eawag dans cinq ruisseaux de régions agricoles a révélé que les microcrustacés étaient le plus touchés. Les concentrations de plusieurs insecticides, dont le chlorpyrifos et divers pyréthrinoïdes, dépassaient les seuils d'effets toxiques, de sorte que la qualité des sédiments était affectée.

Comme l'ont montré les études NAWA SPEZ de 2015 et 2017 en Suisse, les produits phytosanitaires (PPh) constituent un risque écotoxicologique pour les petits cours d'eau des régions agricoles. Les concentrations de PPh dépassaient les critères de qualité environnementale sur une très grande partie de la période d'étude. Si leurs propriétés physicochimiques le leur permettent (faible hydrosolubilité, forte capacité d'adsorption), les PPh peuvent se lier au sédiment. Or celui-ci abrite une faune qui peut s'en trouver affectée. Jusqu'à présent, on disposait de peu de connaissances sur les concentrations de PPh dans les sédiments en Suisse et sur leurs effets toxiques.

Parallèlement à NAWA SPEZ 2017, le Centre Ecotox a donc procédé à une évaluation des sédiments dans les cinq ruisseaux de l'étude : le Chrümmlisbach (BE), le Weierbach (BL), le Bainoz (FR), le Hoobach (SH) et l'Eschelisbach (TG). Des prélèvements ont été effectués une fois par mois de mars à octobre. L'étude a été menée en partenariat avec l'Eawag et l'université de Cadix. Les scientifiques ont ciblé 97 composés dans les échantillons de sédiment qu’ils ont quantifiés par analyse chimique, notamment des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des polychlorobiphényles (PCB), des métaux et sept PPh qui avaient été recherchés en priorité en raison de leur forte capacité d'adsorption. Les effets toxiques des échantillons de sédiment ont été évalués à l'aide d'une batterie de trois biotests standardisés mettant en œuvre des organismes présentant différents modes de vie et formes d'alimentation : des ostracodes, des larves de chironomes et des nématodes.

Des effets toxiques sur les organismes du sédiment mesurés dans les biotests

« Nous avons eu la surprise de constater que, sur tous les sites, plusieurs échantillons de sédiment étaient toxiques pour au moins une des espèces exposées dans les tests. Les ostracodes se sont révélés être les plus sensibles », relate Carmen Casado-Martinez. Dans l'ensemble, les sédiments de l'Eschelisbach et du Weierbach étaient plus toxiques que ceux du Hoobach, du Bainoz et du Chrümmlisbach. Les sédiments de l'Eschelisbach étaient toxiques pour les ostracodes pendant presque toute la période d'étude ; ceux du Chrümmlisbach et du Weierbach l'étaient pendant 4 des 7 mois et ceux du Bainoz et du Hoobach pendant au moins un mois. Des effets sur les chironomes ont été observés dans tous les sites à l’exception du Chrümmlisbach, alors que des effets sur les nématodes ont été constatés dans le Weierbach et le Hoobach.

À quoi ces effets étaient-ils dus ? « Sur tous les sites, les concentrations de PCB pouvaient être considérées comme non critiques pour les invertébrés, indique Carmen Casado-Martinez. Les teneurs de HAP et de métaux étaient un peu plus élevées, mais encore relativement faibles. Il est donc peu probable que ces composés aient contribué de façon notable à la toxicité mesurée. » Restaient donc les produits phytosanitaires dont les suivants ont été analysés : le DDD et le DDE, deux métabolites persistants du DDT, le chlorpyrifos, un insecticide organophosphoré, la terbutylazine, un herbicide, et enfin la cyperméthrine, la perméthrine et la bifenthrine, trois insecticides pyréthrinoïdes. Parmi ces PPh, le chlorpyrifos, connu pour sa toxicité particulièrement élevée pour les poissons et les invertébrés, était présent aux concentrations les plus fortes – jusqu'à 156 ng/g de sédiment. Les teneurs maximales mesurées dans l'Eschelisbach, le Hoobach et le Bainoz étaient environ dix fois plus élevées que le seuil de 4,1 ng/g, à partir duquel des effets chroniques sont probables (voir encart).

Les concentrations de PPh dans les sédiments dépassent les seuils d'effets toxiques

Outre le chlorpyrifos, la cyperméthrine était, elle aussi, souvent présente à des concentrations supérieures au seuil d'effets chroniques de 0,49 ng/g déterminé pour ce pyréthrinoïde particulièrement nocif pour les invertébrés. La perméthrine et la bifenthrine ont également été détectées dans les sédiments, mais à des teneurs toujours inférieures à leur seuil. Des dépassements du seuil d'effets chroniques ont été observés au moins une fois sur chaque site, généralement pour le chlorpyrifos et/ou la cyperméthrine. En prenant en compte les effets cocktail, les sédiments pouvaient être qualifiés de potentiellement toxiques sur tous les sites pendant la quasi totalité de la période étudiée. Le Hoobach, l'Eschelisbach et le Weierbach présentaient la plus forte toxicité potentielle due au mélange de polluants. Venaient ensuite le Bainoz et le Chrümmlisbach. Les résultats de l'évaluation de la qualité du sédiment basée sur les analyses chimiques étaient en corrélation avec ceux des bioessais pour 65 % des échantillons.

Les PPh analysés n'expliquent qu'une partie de la toxicité

Les concentrations les plus élevées de chlorpyrifos étaient responsables de plus de 85 % de la toxicité potentielle du mélange dans l'Eschelisbach, le Hoobach et le Bainoz. Cependant, aucune relation directe entre les concentrations de chlorpyrifos mesurées dans le sédiment et la toxicité observée dans les bioessais n’a pu être mise en évidence. Les pyréthrinoïdes – la bifenthrine, la perméthrine et la cyperméthrine – contribuaient également à la toxicité globale sur tous les sites. Au Weierbach, la toxicité du mélange était dominée par celle de la cyperméthrine. « La toxicité que nous avons mesurée dans les biotests ne s'explique pas entièrement par la présence des quelques PPh analysés, sept pour être exact », commente Carmen Casado-Martinez. Cela est certainement dû à la présence d'autres substances chimiques potentiellement toxiques qui n'ont pas été prises en compte dans l'évaluation. Ainsi les échantillons d'eau analysés dans le projet NAWA SPEZ contenaient du fipronil, du spinosad et de la λ-cyhalothrine, des PPh potentiellement toxiques qui peuvent s'accumuler dans les sédiments. Or ces composés n'ont pas été recherchés dans ce compartiment.

Il n'existe à ce jour pas encore de méthode harmonisée pour l'évaluation de la qualité des sédiments. Le Centre Ecotox travaille depuis plusieurs années à l'élaboration d'une telle approche. « Dans cette optique, nous déterminons des critères de qualité pour les sédiments en utilisant la méthode de l'Union européenne et en appliquant des facteurs d'extrapolation », explique Carmen Casado-Martinez. Ces facteurs d'extrapolation sont appliqués à titre de précaution afin de protéger toutes les espèces d'un écosystème et de prendre en compte les incertitudes. Les seuils d'effets toxiques utilisés dans la présente étude ne sont pas assortis de tels facteurs et sont donc moins protecteurs que les critères de qualité environnementale.

Seuils relatifs aux PPh disponibles pour les sédiments
La loi n'impose pas de concentrations limites pour les PPh dans les sédiments. En revanche, si des alluvions sont extraites par dragage d'un milieu, comme un lac de retenue, par exemple, l'ordonnance sur les déchets (OLED) et l'ordonnance sur les mouvements de déchets (OMoD) s'appliquent : ces dernières précisent, entre autres, les concentrations de HAP, de PCB et de métaux lourds à partir desquelles ces matériaux de dragage sont considérés comme des déchets spéciaux. La présente étude s'est basée sur des seuils tirés de la littérature scientifique. Ils ont été déterminés selon différentes approches et données en fonction du groupe de composés chimiques concerné. Concernant les métaux, les HAP, les PCB et les métabolites du DDT (DDD et DDE), des données sur la composition de la communauté d'invertébrés et les résultats de bioessais ont été utilisées. Les données sur les PPh étant trop éparses, les seuils de toxicité n'ont été déterminés que sur la base de tests de toxicité aigüe ou chronique effectués avec des insectes et des crustacés. Dans les deux méthodes, aucun facteur d'extrapolation permettant de prendre en compte les incertitudes n'a été utilisé. Une concentration inférieure au seuil d'effets chroniques indique donc qu'il est peu probable qu'une toxicité émane du composé pour les invertébrés dans le sédiment. À l'inverse, une concentration supérieure au seuil d'effets aigus indique une toxicité probable. Les effets de cocktails de substances ont également été évalués.

Photos

En 2017, des échantillons de sédiment ont été prélevés pendant huit mois dans des ruisseaux de régions fortement agricoles. (Photos : Centre Ecotox)

Publication

Casado-Martinez, M. C.; Schneeweiss, A.; Thiemann, C.; Dubois, N.; Pintado-Herrera, M.; Lara-Martin, P. A.; Ferrari, B. J. D.; Werner, I. (2019) Écotoxicité des sédiments de ruisseaux. Les pesticides présents dans les sédiments ont des effets sur les organismes benthiques, Aqua & Gas, 99(12), 62-71, Institutional Repository