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Protection contre les crues pour les organismes aquatiques: l’importance cruciale du charriage

18 novembre 2021 | Claudia Carle

Une crue est synonyme de stress pour les organismes vivant dans les cours d’eau. Leur capacité de survie dépend notamment de l’existence d’endroits leur permettant de se mettre à l’abri. Des chercheurs de la VAW et de l’Eawag ont étudié l’impact de l’élargissement de rivière, dans le cadre de mesures de revitalisations, sur la disponibilité en refuges. Leur étude montre que disponibilité en refuges et ainsi la préservation de la biodiversité dépendent essentiellement de l’apport du charriage.

Les épisodes de crue, tels que ceux qui ont fait les gros titres cet été, sont non seulement sévères pour les êtres humains vivant le long des rivières concernées, mais aussi pour les organismes aquatiques. Ils peuvent être emportés par les crues, blessés, voire tués, à défaut de pouvoir se réfugier dans des endroits protégés. Les refuges sont des lieux de retraite où l’intensité de la crue est atténuée, par exemple dans des zones calmes ou dans un biotope créé temporairement dans la plaine alluviale inondée. Ils revêtent donc une importance capitale pour la préservation de la biodiversité dans les cours d’eau. Les cours d’eau naturels se caractérisent par une multitude de biotopes et de refuges. Néanmoins, de nombreuses rivièressuisses ont été rectifiées et canalisées, ce qui a réduit considérablement le nombre de biotopes et de refuges disponibles. De gros efforts ont été consentis ces dernières années pour redonner aux cours d’eau un état plus naturel grâce à la revitalisation. En élargissant l’espace dédié aux cours d’eau, les spécialistes espèrent améliorer à la fois la protection contre les crues et la préservation de la biodiversité.

De nouveaux biotopes, mais sont-ils utilisables?

L’élargissement dynamique des rivières est un exemple de mesure de revitalisation. Les berges artificiellessont éliminées sur une ou les deux rives. À chaque crue, la rivière peut éroder latéralement la rive et réaménager son lit ainsi que la plaine alluviale. Grâce à ce pouvoir de remodelage, les épisodes de crue jouent alors un rôle écologique important par la création de nouveaux biotopes diversifiés.

La capacité des organismes aquatiques à utiliser ces nouveaux biotopes, notamment comme refuges en cas de crue, dépend de nombreux facteurs. La plaine alluviale doit par exemple être inondée par la crue et reliée au bras principal. Comme le montre une étude publiée début 2021 par les chercheurs de la VAW (Laboratoire d’hydraulique, d’hydrologie et de glaciologie) de l’EPF Zurich et de l’Eawag dans le Journal of Ecohydraulics, le charriage joue un rôle décisif en la matière. Il est essentiel pour la formation et le remodelage du lit de la rivière. Toutefois, ce processus est entravé dans de nombreux cours d’eau suisses, en raison des dépotoirs à alluvion et retenues qui bloquent le charriage et provoquent une carence en sédiments à l’aval. On parle de déficit de charriage. Si, en revanche, une rivière dispose d’autant de sédiments charriables qu’elle peut en transporter, on parle alors de charriage équilibré.

Expériences avec différents apports de charriage

«Nous voulions savoir comment un déficit de charriage affecte la disponibilité en refuges pour les organismes aquatiques tels que les poissons et les larves d’insectes sur un tronçon de rivière revitalisé», expliquent Cristina Rachelly, ingénieur à la VAW et Christine Weber, biologiste à l’Eawag. Cette problématique a été étudié à l’aide d’essais sur modèle physique et de simulations numériques. Les essais sur modèle physique se sont basés sur les conditions des rivières alpines et pré-alpines. L’élargissement dynamique sur une rive de la Kander près de Frutigen (BE) a servi de tronçon de référence.
 

L’élargissement dynamique de la Kander a servi de tronçon de référence pour les expériences en laboratoire sur l’impact de divers apports de charriage sur le développement de l’élargissement. (Photo aérienne: Office fédéral de topographie swisstopo, photo: VAW, EPF Zurich)

Sur ce tronçon de rivière modélisé en laboratoire, les chercheurs ont testé le développement de l’élargissement dynamique avec différents apports de charriage. L’apport de charriage correspondait à 20, 60 et 100% de la quantité que la rivière canalisée pourrait transporter à un débit donné. Ils ont fait l’hypothèse d’un déficit sédimentaire élevé ou moyen ou d’un équilibre sédimentaire. Le lit de la rivière ainsi formé a été mesuré à intervalles réguliers. Les topographies obtenues ont servi de base pour les simulations hydrodynamiques numériques. Celles-ci ont été utilisées pour déterminer les paramètres hydrauliques tels que la profondeur de l’eau, la vitesse d’écoulement et la contrainte de cisaillement pour toute la section de la rivière et différents débits.

Plus de diversité et de surface aquatique avec le charriage équilibré

«Les résultats montrent qu’un charriage équilibré permet d’élargir le bras principal, qui se divise en partie en plusieurs canaux, et d’améliorer la connexion avec la plaine alluviale par l’élévation du lit de la rivière. L’érosion et l’alluvionnement forment une mosaïque de biotopes variés, créant ainsi de nombreuses zones où les organismes aquatiques peuvent se réfugier en cas de crue», expliquent les deux chercheuses (voir l’illustration de la simulation des contraintes de cisaillement). En outre, la plaine alluviale est déjà inondée lors de petites crues, comme cela se produit en moyenne tous les un à deux ans, ce qui la rend accessible aux organismes aquatiques.

En revanche, en présence d’un déficit de charriage, le bras principal s’élargit à peine et reste séparé de la plaine alluviale, de sorte que l’eau s’écoule à grande vitesse et avec une profondeur importante. «Le maintien d’un canal unique profond signifie que la plaine alluviale tend à être inondée uniquement lors de fortes crues, telles qu’elles se produisent tous les 30 à 100 ans», ajoutent les scientifiques. Lors de crues de moindre amplitude mais plus fréquentes, les êtres vivants ne disposent donc d’aucun refuge.
 

Avec un déficit de charriage (BQ = 60 ou 20%), l’eau s’écoule majoritairement dans le bras principal et provoque de fortes contraintes de cisaillement (orange, rouge) tandis que la plaine alluviale reste principalement sèche. En revanche, un charriage équilibré (BQ = 100%, répété 2 fois) crée une mosaïque de zones à fortes contraintes de cisaillement et des zones de courant calme avec des contraintes de cisaillement moins importantes qui servent de refuges (graphique: VAW, EPF Zurich)
Avec un charriage équilibré (BQ=100%, répété 2 fois), une grande partie du lit de la rivière et la plaine alluviale sont déjà inondés à des débits nettement inférieurs. Ainsi, plus de 90% de la surface est inondée par une crue tous les 18 mois (HQ 1,5). En présence d’un déficit de charriage (BQ=60 ou 20%), de grandes zones de la plaine alluviale ne sont inondées que tous les 30 ans, voire encore plus rarement. (Graphique: VAW, EPF Zurich)

Le rôle crucial du régime de charriage

Cette expérience n’est qu’un exemple des interactions complexes dont il faut tenir compte pour les projets de  revitalisation. «Le développement des élargissements dynamiques dépend fortement de l’équilibre général du charriage, mais aussi d’autres facteurs», expliquent Cristina Rachelly et Christine Weber. Un déficit de charriage peut d’une part causer un élargissement de la rivière moins dynamique que souhaité. D’autre part, l’expérience fait état des synergies potentielles des divers efforts de revitalisation. L’assainissement du charriage peut contribuer à stimuler plus fortement l’élargissement de la rivière et offrir ainsi davantage de refuges aux organismes aquatiques lors des périodes de crues. Les chercheurs soulignent toutefois que les crues ne sont qu’un des événements perturbateurs possibles. Il est nécessaire de mener davantage de recherches concernant les effets d’autres événements perturbateurs comme par exemple les périodes de sécheresse et de canicule, dont la fréquence augmente avec le réchauffement climatique.

Photo de couverture: VAW, ETH Zürich

Financement / Coopérations

  • Eawag
  • VAW
  • Programme de recherche «Aménagement et écologie des cours d’eau» de l’OFEV, Eawag, VAW (EPF Zurich), WSL et PL-LCH (EPFL)

Publication originale

Cristina Rachelly, Kate L. Mathers, Christine Weber, Volker Weitbrecht, Robert M. Boes & David F. Vetsch (2021) How does sediment supply influence refugia availability in river widenings? Journal of Ecohydraulics, 6:2, 121-138,
DOI: https://doi.org/10.1080/24705357.2020.1831415