Optimiser la gestion des eaux usées et protéger les milieux aquatiques

Article du magazine sur la journée d'information 2022

Les milieux aquatiques naturels subissent régulièrement des déversements d’eaux usées non traitées via les déversoirs d’orage des réseaux unitaires. Grâce à un «digital twin» ou jumeau numérique, la gestion du réseau d’assainissement peut être améliorée et ce type de pollution grandement évité.

Les ménages et l’industrie déversent régulièrement des produits chimiques, des métaux lourds et des hormones dans les égouts. Si les stations d’épuration ne les éliminent pas, ces polluants viennent contaminer les écosystèmes aquatiques. Dans beaucoup de zones urbaines et industrielles, les eaux usées sont évacuées avec les eaux de pluie dans un système d’égouts unitaire et acheminées ensemble vers une station d’épuration. Les eaux traitées sont ensuite déversées dans un ruisseau, une rivière ou un lac voisin. Dans le contexte urbain, en particulier, le système unitaire atteint cependant ses limites : en cas de pluies torrentielles, les quantités d’eau sont subitement si importantes qu’elles ne peuvent pas s’infiltrer sur place dans les sols qui sont largement imperméabilisés. Elles doivent donc être évacuées par les égouts qui disposent cependant de capacités d’accueil limitées. Si celles-ci sont atteintes, le surplus, composé d’eaux usées et d’eau de pluie, est évacué sans traitement dans le milieu aquatique.

Pour absorber les pointes de débit et limiter les déversements d’eaux usées dans le milieu aquatique, les zones desservies pas les égouts unitaires sont souvent équipées de tout un réseau d’ouvrages de délestage. Un système d’assainissement élaboré comprend ainsi, en plus de la station d’épuration, des bassins d’orage et des déversoirs d’orage. Les bassins d’orage recueillent les eaux de pluie et les stockent de manière temporaire, tandis que les déversoirs d’orage évacuent les eaux mixtes non traitées vers un lac ou un cours d’eau naturel lorsque le volume à transporter est trop important. Une telle infrastructure comprenant collecteurs, station d’épuration et ouvrages de délestage est extrêmement onéreuse, aussi bien à l’investissement qu’à l’entretien. Les communes doivent donc faire face à un véritable défi si elles souhaitent continuer à réduire la pollution des eaux. Car le changement climatique s’accompagne d’une augmentation des évènements pluvieux extrêmes tandis que les villes ne cessent de s’étendre.

Vers une gestion dynamique des systèmes d’assainissement

Beaucoup de systèmes d’assainissement sont gérés de manière statique. Les bassins et déversoirs d’orage se délestent à partir de seuils fixes indépendamment des conditions météorologiques. Si les prévisions météo et données pluviométriques locales étaient prises en compte dans la gestion des ouvrages, l’infrastructure en place pourrait être exploitée avec beaucoup plus d’efficacité et la pollution du milieu aquatique réduite. Grâce au concept de jumeau numérique, une telle gestion dynamique devient possible. Le terme de jumeau numérique ou «digital twin» vient du monde de la communication et désigne la réplique numérique d’un objet qui est liée à l’objet d’origine par un échange de données en temps réel. Dans un tel système, les données mesurées en temps réel étant reliées au modèle, cela permet de simuler les processus et d’améliorer le modèle en continu. Cette démarche permet alors d’optimiser la gestion du système réel.

Comment le concept du jumeau numérique peut-il être appliqué à la gestion des systèmes d’assainissement? Le réseau d’assainissement d’une commune donnée (l’objet d’origine) est tout d’abord reproduit dans un modèle (la copie numérique). Les données issues de mesures en temps réel des flux d’eaux usées et d’eaux de pluie et de la pluviométrie sont ensuite fournies au modèle pour optimiser la gestion du réseau. Les modèles s’appuient sur le logiciel RS URBAN développé pour les systèmes urbains qui permet de combiner les modélisations hydrologiques et hydrauliques des zones urbaines avec les modélisations de bassins versants naturels.

Le jumeau numérique du réseau d’assainissement de Saint-Chamond

La ville de Saint-Chamond, dans la région lyonnaise, a été l‘une des premières communes de France à se doter d’un jumeau numérique pour la gestion de son réseau d’assainissement. La population de Saint-Chamond compte 36‘000 personnes. Intégrant une importante zone industrielle, le territoire urbain de la commune est imperméabilisé sur 71 pour cent de sa surface. Le Gier, la rivière qui le traverse, s’écoule sous terre sur de larges portions avant de se déverser dans le Rhône à Givors. Son bassin versant est de 403 kilomètres carrés. Le réseau d’assainissement de Saint-Chamond comprend une station d’épuration (STEP) et divers ouvrages de délestage, à savoir le bassin d’orage de Terrenoire, d’un volume de 1770 mètres cubes, le déversoir d’orage latéral Wilson et d’autres déversoirs d’orage non concernés par la régulation du bassin d’orage.

La société Veolia Eau France, qui exploite le réseau d’assainissement de Saint-Chamond, a chargé l’entreprise suisse Hydrique Ingénieurs de développer un jumeau numérique du système d’évacuation des eaux. Aujourd’hui, les responsables municipaux peuvent gérer leur système d‘assainissement de manière flexible en s’adaptant aux conditions météo locales et à la production d’eaux usées. Grâce au jumeau numérique, la capacité de rétention du bassin d’orage de Terrenoire a ainsi pu être optimisée et le système de régulation de la station d’épuration automatisé. Frédéric Jordan, le directeur d’Hydrique Ingénieurs, s’en réjouit: «En 2020, nous sommes parvenus à réduire les déversements d’eaux non traitées dans le Gier de 17 pour cent et les apports de matières en suspension et d’azote ammoniacal (NH4 +) de 20 et 34 pour cent, respectivement. En 2021, les rejets d’eaux usées non traitées ont même été réduits de 29 pour cent!» Les premiers résultats sont donc très encourageants. Car, d’après Frédéric Jordan, le potentiel d’optimisation est encore loin d‘être totalement exploité: grâce au jumeau numérique, l’infrastructure existante peut en effet être utilisée avec une efficacité croissante à mesure que le modèle s’améliore à la faveur des données locales mesurées en temps réel qui lui sont fournies.

Créé par Manuela di Giulio pour l’InfEau Magazine 2022